La craniologie est une science basée sur l'étude de la forme et des variations du crâne humain. Cette discipline née au XIXe siècle s'inscrit dans le domaine de l'anthropologie physique[1]. Nombre de productions savantes dans le champ de la craniologie ont soutenu des thèses sexistes, racistes, ou discriminatoires à l'égard des délinquants — considérés comme des criminels-nés.

Appareil de mesure datant de 1902

Le terme vient du grec κρανίον, kraníon (« crâne, casque ») et de λόγος, logos (« étude »). La craniologie compte plusieurs sous-disciplines : la craniométrie (science des mesures du crâne), la cranioscopie (science fondée sur la palpation du crâne), la topographie cérébrale[2]. A la différence de la craniométrie, la craniologie ne se contente pas de fournir des mesures, mais établit des relations entre l'anatomie, les facultés intellectuelles, l'histoire, la société[3].

Histoire

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L'étude du prognathisme et des angles

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Pierre Camper, anatomiste hollandais, est considéré comme un pionnier dans le domaine de la craniologie. Il a mesuré le prognathisme (l'angle facial) des crânes d'un Européen, d'un Kalmouk et d'un Noir. Le résultat de ses observations est que l'angle serait le plus ouvert chez le singe, le plus fermé chez l'Européen, le Kalmouk et le Noir présentant des cas intermédiaires. P. Camper établit alors un lien entre le niveau d'intelligence et le degré de fermeture de l'angle facial[2].

D'autres angles ont servi d'instruments de mesure par la suite, l'angle sphénoïdal du savant allemand Hermann Welckler et l'angle occipital de Paul Broca[2]. La thèse d'une corrélation entre l'angle et le niveau d'intelligence est maintenue, notamment chez Paul Broca[2].

L'étude des bosses du crâne

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Franz Joseph Gall est le fondateur de la craniologie. Selon lui, les bosses affleurant à la surface du crâne permettent de mesurer les capacités intellectuelles de l'individu[2]. Lorsqu'une faculté est très développée elle aurait tendance, selon Gall, à déformer le crâne[4]. Gall prétend « connaître le contenu par l’analyse du contenant »[5].

L'étude du poids et du volume du cerveau

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Maximien Parchappe, Louis Francisque Lélut, Rudolf Wagner privilégiaient la pesée comme instrument de mesure[2].

Julien-Joseph Virey, Palisot de Beauvois, Friedrich Tiedemann procédaient, quant à eux, au cubage du crâne[2]. La technique du savant américain (et négrophobe) Samuel George Morton, consistant à remplir un crâne de plomb de chasse, puis à verser le contenu dans un récipient gradué, est demeurée célèbre[2].

L'étude de l'indice céphalique

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Anders Retzius, un anatomiste finnois, a mesuré le rapport entre la largeur maximale et la longueur maximale du crâne, ou l'indice céphalique, en fonction duquel il a distingué les dolichocéphales (au crâne allongé) et les brachycéphales (au crâne plus large que long)[2].

Le rôle de Paul Broca

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Paul Broca, médecin et anatomiste français, est connu pour sa tentative de rendre plus méthodique la craniologie ; il a voulu améliorer les techniques de cubage de Samuel George Morton ; il a distingué des catégories supplémentaires selon l'indice céphalique, celles des mésocéphales et des orthocéphales ; il a inventé des céphalographes, des topomètres, des cyclomètres[2].

Plusieurs spécialistes de craniologie sont aussi des auteurs d'ouvrages considérés aujourd'hui comme racistes; il en va ainsi de Armand de Quatrefages, Paul Topinard, Vacher de Lapouge en France, et de Rudolf Virchow, Carl Gustav Carus, Carl Vogt, Johannes Peter Müller en Allemagne[2].

Populations prises pour objets d'analyse

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Comparaison des hommes et des femmes

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Gustave Le Bon ayant comparé le volume de cerveaux d'hommes et de femmes, affirme que ceux des hommes ont un volume supérieur, même quand les individus de sexes différents ont la même taille ; puis ayant évalué la capacité crânienne des singes, Le Bon en déduit que de nombreuses femmes européennes sont par leur niveau d'intelligence semblables à ces primates : « Dans les races les plus intelligentes, comme les Parisiens, écrit Le Bon, il y a une notable proportion de la population féminine dont les crânes se rapprochent plus par leur volume de ceux des gorilles que des crânes de sexe masculin les plus développés. [...] Cette infériorité [intellectuelle des femmes] est trop évidente pour être contestée un instant »[6]. Vivant à une époque où les jeunes filles ne vont pas au lycée, il est fermement opposé à l'instruction des femmes, qu'il juge inutile et nuisible[6]. Elle est inutile parce que la femme est naturellement inférieure à l'homme ; elle est nuisible parce qu'un niveau de connaissance plus élevé enlèverait à la femme son charme et sa valeur. De plus, Gustave Le Bon reprend dans sa description des femmes des catégories d'analyse provenant de la raciologie ; certains traits physiologiques attribués aux peuples dit «primitifs» ont été préalablement dépréciés et réinvestis ensuite dans un discours sexiste[7]. Ainsi, Gustave Le Bon peut-il affirmer : « le crâne féminin de l'Homme civilisé, écrit-il, se rapproche beaucoup plus de celui de l'homme des races inférieures que de celui de l'homme des races supérieures »[6]. Gustave Le Bon soutient que l'inégalité du volume du cerveau entre l'homme et la femme s'accroît quand on passe des «races inférieures» aux «races supérieures»[6]. Il soutient ainsi, inspiré par Lamarck, qui pense qu'un organe fortement sollicité a tendance à se perfectionner au fil des générations : « l'homme s'instruisant de plus en plus à chaque génération, les progrès accumulés par hérédité finissent par l'éloigner graduellement de la femme dont intellectuellement il s'écartait d'abord fort peu »[6].

Ces théories connaissent une large diffusion, et influencent par exemple le sociologue Émile Durkheim, qui fait référence à la craniologie de Gustave Le Bon, dans La division du travail social (1894), pour expliquer l'infériorité des femmes dans l'exercice de la pensée théorique ; « au point de vue de la masse du cerveau et, par suite, de l’intelligence, la femme tend à se différencier de plus en plus de l’homme », écrit Durkheim, l'écart se creusant de génération en génération, en faveur de l'homme[8].

Paul Broca s'est également livré à des comparaisons de la capacité crânienne des hommes et des femmes, pour aboutir à des conclusions sexistes similaires.

L'idée de l'infériorité intellectuelle de la femme fondée sur des mesures craniologiques a été réfutée par Léonce Manouvrier, contemporain de Gustave Le Bon et par ailleurs disciple de Broca.

Comparaison des criminels et des non-criminels

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Cesare Lombroso, auteur de L'homme criminel (L’Uomo delinquente) (1876) s'est fondé sur des observations craniologiques pour décrire des hommes qui seraient des criminels-nés[9]. C. Lombroso admet que la capacité crânienne des criminels n'est pas toujours inférieure à celle des non-criminels, mais il prétend que les crânes des criminels présentent des anomalies, constat qui lui a été inspiré par l'examen du crâne du brigand Villella[9],[10], semblable par un de ses traits anatomiques à celui de primates de Madagascar, les lémuriens[11]. L'anthropologue italien déduit de cette «découverte» que les criminels sont des primitifs qui n'auraient pas évolué[11]. La criminalité est donc un fait de nature, et il devient possible de prédire des comportements déviants par des mesures anatomiques[12]. Xavier Tabet parle au sujet de Lombroso d'un «racisme contre les anormaux», si le racisme consiste à traduire en termes biologiques des catégories sociales ou psychologiques[11]. Par ailleurs Lombroso identifiait des «races criminelles», parmi lesquelles les bohémiens[11].

Les thèses de Lombroso ont été vivement contestées de son vivant, notamment en France par l'anatomiste Léonce Manouvrier, et par les sociologues durkheimiens[13].

La craniologie au XXIe siècle

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À la fin du XXe siècle, la craniométrie a été utilisée par des anthropologues du continent américain pour tenter de déterminer l'origine géographique des crânes fossiles humains anciens (datés de la fin du Pléistocène supérieur au début de l'Holocène) trouvés en Amérique. La plupart des conclusions tirées de ces études ont été réfutées par les analyses paléogénétiques menées au XXIe siècle.

Références

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  1. Éditions Larousse, « Définitions : craniologie - Dictionnaire de français Larousse », sur www.larousse.fr (consulté le )
  2. a b c d e f g h i j et k Nadine Fresco, «Aux beaux temps de la craniologie», La science face au racisme (dir. Charles Frankel), 1986, p.107-116, lire en ligne
  3. Gilles Boëtsch, Dominique Chevé, « Du corps en mesure au corps dé-mesuré : une écriture anthropobiologique du corps ? », Corps, 2006/1 (n° 1), p. 23-30. DOI : 10.3917/corp.001.0023. URL : https://www.cairn-int.info/revue-corps-dilecta-2006-1-page-23.htm
  4. « Cranioscopie - Dictionnaire médical », sur www.dictionnaire-medical.net (consulté le )
  5. Claude Renner, « Quelques propos autour de la phrénologie », HISTOIRE DES SCIENCES MEDICALES,‎ (lire en ligne)
  6. a b c d et e Evelyne Peyre et Joëlle Wiels, « De la ‘nature des femmes’ et de son incompatibilité avec l'exercice du pouvoir : le poids des discours scientifiques depuis le XVIIIe siècle », Les cahiers du CEDREF. Centre d’enseignement, d’études et de recherches pour les études féministes, no Hors série 2,‎ , p. 127–157 (ISSN 1146-6472, DOI 10.4000/cedref.1642, lire en ligne, consulté le )
  7. « Les traits retenus pour qualifier les femmes sont préalablement dépréciés dans le cadre d'études raciologiques » ; « la fabrication d'une nature féminine dévalorisée est inscrite, dès le début du « XIXe » siècle, dans une science de l'évolution qui problématise l'histoire des Hommes dans un cadre raciologique », Evelyne Peyre et Joëlle Wiels, « De la ‘nature des femmes’ et de son incompatibilité avec l'exercice du pouvoir : le poids des discours scientifiques depuis le XVIIIe siècle », Les cahiers du CEDREF. Centre d’enseignement, d’études et de recherches pour les études féministes, no Hors série 2,‎ , p. 127–157 (ISSN 1146-6472, DOI 10.4000/cedref.1642, lire en ligne, consulté le )
  8. Nicole Mosconi (Professeure émérite, Paris Ouest Nanterre la Défense), «FEMMES ET HOMMES DANS LEURS RAPPORTS AUX SAVOIRS SAVANTS», 2012,lire en ligne
  9. a et b Tarde Gabriel, « Le type criminel [1] », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2000/2 (no 3), p. 89-116,lire en ligne
  10. (en) Renzo Villa, « Faits divers et crimes célèbres: Cesare Lombroso et l'anthropologie criminelle entre crime et folie, Parus dans la même série des « Entretiens des Treilles » Achèvement et dépassement, III La place de La NRF dans la vie littéraire du XX e siècle Crime et folie Crime et folie », Crime et folie,‎ (lire en ligne, consulté le ), p.109
  11. a b c et d Xavier Tabet, « « Costrutto diversamente dagli altri » : criminalité, atavisme et race chez Lombroso », dans La pensée de la race en Italie : Du romantisme au fascisme, Presses universitaires de Franche-Comté, coll. « Les Cahiers de la MSHE Ledoux », (ISBN 978-2-84867-792-7, lire en ligne), p. 101–120
  12. Mondher Kilani, Anthropologie: Du local au global, Armand Colin, (ISBN 978-2-200-28366-7, lire en ligne)
  13. Jean-Claude Wartelle, « La Société d'Anthropologie de Paris de 1859 à 1920 [1] », Revue d'Histoire des Sciences Humaines, 2004/1 (no 10), p. 125-171.lire en ligne

Bibliographie

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  • Nadine Fresco, « Aux beaux temps de la craniologie », La science face au racisme (dir. Charles Frankel), 1986, p.107-116, lire en ligne
  • (en) Elizabeth Fee, « Nineteenth Century Craniology ; The Study of the Female Skull », Bulletin of the History of Medicine, 53, 1980, p.415-433
  • (en) Elise Juzda, « Skulls, science, and the spoils of war: craniological studies at the United States Army Medical Museum, 1868–1900 », Studies in History and Philosophy of Science Part C: Studies in History and Philosophy of Biological and Biomedical Sciences, vol. 40, no 3,‎ , p. 156–167 (ISSN 1369-8486, DOI 10.1016/j.shpsc.2009.06.010, lire en ligne)
  • (en) Robert E Bieder, « Samuel G.Morton : Nineteenth-Century Craniology and the American Indian », Les Américains et Les Autres, Université de Provence, 1982, p.7-19

Voir aussi

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Articles connexes

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Liens externes

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