Le Christ s'est arrêté à Eboli

roman de Carlo Levi

Le Christ s'est arrêté à Eboli (en italien, Cristo si è fermato a Eboli) est un roman autobiographique de Carlo Levi publié en 1945.

Le Christ s'est arrêté à Eboli
Format
Langue
Auteur
Date de création
Date de parution
Pays

Il est, avec Le Guépard, l'un des deux romans italiens ayant connu le plus grand succès critique et commercial au XXe siècle. Il est adapté au cinéma en .

Résumé

modifier

Jeune médecin de la bourgeoisie turinoise, Levi livre un roman autobiographique où il décrit la misère de la condition humaine dans les régions méridionales italiennes (Mezzogiorno) des années 1930. Là-bas, le paludisme, malaria en italien, décime la population qui vit déjà dans une misère absolue. Levi raconte ce qu'il vit, ce qu'il voit. Il peint avec son pinceau et sa plume le portrait d'une région abandonnée à son triste sort et relate le mode de vie de ses habitants, leurs coutumes, leurs croyances, offrant du même coup à la littérature italienne certaines de ses plus belles pages (traduit en 37 langues, ce livre est d'ailleurs un classique de version italienne).

Genèse

modifier

« Non siamo cristiani. Cristo si è fermato a Eboli » — « Nous ne sommes pas chrétiens. Le Christ s'est arrêté à Eboli. » C'est à cette expression du désespoir des paysans de Lucanie, la Basilicate d'aujourd'hui, que le livre doit son titre[1].

Écriture

modifier
 
Tombe de Carlo Levi à Aliano.

Comme de nombreux intellectuels et antifascistes, Levi a été assigné à résidence en pour ses positions politiques, il est alors membre du mouvement Justice et Liberté[2].

Exilé par les autorités fascistes dans une région reculée, la Basilicate, appelée alors Lucanie, il est tout d'abord placé à Grassano avant d'être transféré à Aliano[2],[N 1]. C'est alors avec un œil de septentrional, de Juif turinois et d'intellectuel que Levi arrive dans cette région[3].

L'écriture du roman, dans les années 1943-1944, provoque un contraste avec des événements qui ont lieu en 1935-1936, avec un contexte différent : celui de la chute du régime fasciste et l'essor de la volonté d'un changement politique dans la péninsule[4]. Toutefois, il ne s'agit pas d'une écriture a posteriori des événements vécus mais l'aboutissement d'un long travail d'élaboration[5]. Levi structure son livre pour mettre en avant tout particulièrement les différents problèmes qui touchent les régions du Sud du pays[5].

Aujourd'hui encore, on peut visiter dans cette même ville, le village où l'auteur a été confiné, la maison où il a vécu, admirer certaines de ses œuvres picturales et se recueillir sur sa sépulture.

Analyse

modifier

Sur la question méridionale

modifier

Le livre eut une importance considérable pour évoquer la situation médicale des régions méridionales. Lévi étant médecin, il a pendant son exil pratiqué ce métier pour pallier la réticence des habitants hostiles aux médecins locaux que Levi décrit, comme le fait remarquer Jean Théodoridès, soit comme étant dépourvu de toutes compétences, soit comme ayant perdu tous les enseignements qu'ils ont reçus au fil des années[2],[N 2]. De nombreuses maladies touchent les habitants de cette région et parfois de façon fatale comme l'évoque la sœur de l'auteur en ce qui concerne les habitants de Matera, résidant alors dans les sassi[6],[2]. Levi dresse un portrait de la vie des habitants de la région à la fois à travers leurs coutumes, leurs superstitions ou encore leurs croyances d'une part, et les conséquences des politiques fascistes d'autre part[3]. Pour autant, Levi ne fait pas de différence entre la culture et la politique. La rédaction de ce livre a un objectif clair, il ne ressemble ni à un documentaire ni à un roman vériste[5], il s'agit d'une œuvre engagée et qui a pour but de mettre au jour les situations de vies dans le sud du pays et ainsi apporter des solutions[7].

La question méridionale est une antienne dans l'Italie contemporaine et est successivement analysée tant par les tenant de l'Italie libérale, tant par les socialistes avec des explications socio-économique[N 3]. Pour Marco Brunazzi de l'Istituto Salvemini, Levi ne se contente pas de tenir ce genre d'analyse mais de considérer la Lucanie qu'il visite comme un « autre » pays[8]

 

Magie et superstitions

modifier

Au sein de cette description de la campagne méridionale, Levi effectue un travail anthropologique[2]. Parmi les nombreuses descriptions du folklore et des conditions de vie des habitants, une large partie est destinée à la pratique de ce que l'on pourrait appeler de la « magie » par les habitants de Gagliano[2],[9]. L'intérêt pour cet aspect de la vie des paysans attire Levi qui souhaite en savoir davantage sur ces pratiques « païennes »[9]. Ainsi, même le chien de l'auteur paraît dans le roman comme étant un être spécial auprès des habitants, ce qui découle sur l'auteur qui le décrit comme tel[9],[10]. Plus loin, il décrit une femme, Giulia, qui déclare avoir une certaine connaissance sur les sciences de la magie, comme une « strega »[10],[N 4],[11]. Cette dernière lui racontant des histoires fantastiques et faisant des allusions à un monde surnaturel, l'insertion de ces faits peut montrer la volonté des méridionaux de s'évader de leurs conditions par ce biais[10].

Cet aspect de la magie, que l'on peut rattacher à de la superstition est aussi présente dans le domaine de la médecine où intervient Carlo Levi. Ainsi, les patients de l'écrivain utilisent des pratiques comme l'insertion de pièces sous la peau pour se protéger de maladies[2]. D'abord cachées au médecin, ces pratiques sont acceptées par l'auteur qui comprend l'intérêt de telles pratiques pour les habitants[2],[12].

Une particularité de l'œuvre tient à la description choisie qui se fait toujours sous des formes légères comme la comédie pour évoquer des problèmes dramatiques[3]. Aussi, l'écriture ayant eu lieu huit ans après les faits, les différents épisodes du roman sont adaptées pour mieux mettre en lumière les problèmes que rencontrent les habitants[13].

Sur l'œuvre de l'auteur

modifier

Ce livre de Carlo Levi s'inscrit dans les différentes œuvres qu'il a publiées à la même époque, et notamment La Peur de la liberté (Paura della libertà), écrit quelques années plus tôt[3]. L'influence de Piero Gobetti sur Carlo Levi se fait sentir dans le style d'écriture[5] .

Réception

modifier

« Il discorso di Carlo Levi si diparte da questo nucleo, cercando di fissare i nodi, i punti di passaggio, da quel mondo alla storia. Perché è in quel mondo tenuto finora fuori dalla storia che Carlo Levi vede una potenziale forza storica determinante. »

« Le discours de Carlo Levi se démarque [de la situation de l'homme situé dans un monde étranger] en cherchant à fixer les points entre eux, à trouver les points de passage, de ce monde à l'histoire. Parce que c'est dans ce monde, alors tenu hors de l'histoire que Carlo Levi voit une potentielle force historique déterminante. »

— Italo Calvino, « Galleria », 3-6, pp. 237-240[14].

La réception et le succès du livre de Levi en Italie doit en partie être contextualisé. Le livre sort en effet en 1945 dans une Italie qui sort de la guerre et qui n'est plus sous le pouvoir fasciste mais doit recréer un système politique[15]. Giorgio Pullini, dans son étude sur la littérature italienne d'après-guerre, en , décrit le livre comme un « cas littéraire » qui pouvait faire partie d'un élément d'avant-garde[16],[N 5]. La sortie de ce livre, qui n'aurait pas pu sortir pendant le ventennio, marque un renouveau pour la littérature italienne[16].

Éditions

modifier

Adaptation

modifier

Voir aussi

modifier

Articles connexes

modifier

Bibliographie

modifier
  • (it) Sophie Nezri-Dufour, Levi si è fermato a Eboli (Préface et introduction du livre), Aix-en-Provence, CAER - Centre Aixois d'Etudes Romanes, , 26 p. (lire en ligne).
  • (it) Kristýna Jurásková, L’esperienza del confino nei romanzi Cristo si è fermato a Eboli di Carlo Levi e Il Carcere di Cesare Pavese, Brno, , 43 p. (lire en ligne).
  • (it) Luca Clerici, La vocazione nazionale di "Cristo si è fermato a Eboli" (extrait article), Pise, ETS, 30 p. (ISBN 9788846741851, lire en ligne).
  • (it) Martina Matana, Il realismo e l’idea di magia in “Cristo si è fermato a Eboli” di Carlo Levi (Thèse de bachelor soutenue au Filozofski fakultet u Zagrebu, Department of Italian Language and Literature.), Zagreb (lire en ligne).

Liens externes

modifier

Notes et références

modifier
  1. La ville est alors appelée Gagliano dans le roman.
  2. Ayant fini ses études en 1924, Levi ne souhaite pas reprendre son activité de médecin dans un premier temps.
  3. Ce thème est souvent employé de nos jours pour faire référence au chômage élevé dans les régions du Sud de l'Italie (Sardaigne comprise). Pour des analyses sur cette question de la part de politiques du début du XXe siècle, voir Benedetto Croce et Antonio Gramsci.
  4. Strega étant le terme italien pour sorcière. voir définition Treccani
  5. Pullini, Giorgio, Il romanzo italiano del dopoguerra: 1940-1960, Marsilio, Venezia, 1965

Références

modifier
  1. Matana 2014, p. 8.
  2. a b c d e f g et h Jean Théodoridès, « Le Christ s'est arrêté à Eboli, de Carlo Levi : une chronique du paludisme et de son traitement dans l'Italie méridionale », Revue d'Histoire de la Pharmacie, vol. 78, no 285,‎ , p. 200–204 (DOI 10.3406/pharm.1990.3092, lire en ligne, consulté le )
  3. a b c et d Nezri-Dufour 2019, p. 17.
  4. Jurásková 2011, p. 12-13.
  5. a b c et d Jurásková 2011, p. 13.
  6. Ferdinand Mirizzi, « Les Sassi de Matera, du scandale national au monument ethnologique », dans Les monuments sont habités, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Ethnologie de la France et des mondes contemporains », (ISBN 978-2-7351-1945-5, lire en ligne), p. 55–73
  7. Jurásková 2011, p. 14.
  8. Nezri-Dufour 2019, p. 8.
  9. a b et c Matana 2014, p. 14.
  10. a b et c Matana 2014, p. 15.
  11. Jurásková 2011, p. 24.
  12. Matana 2014, p. 15-16.
  13. Jurásková 2011, p. 23.
  14. Levi 2014, p. X.
  15. Matana 2014, p. 19.
  16. a et b Matana 2014, p. 20.