Massacre de la rue Transnonain
Le Massacre de la rue Transnonain est un massacre de civils effectué par des troupes de Louis-Philippe lors d'un mouvement populaire le à Paris. L'événement a rencontré un écho important, notamment après la parution d'une lithographie de Honoré Daumier.
Date | 14 avril 1834 |
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Lieu | Rue Transnonain, Paris. |
Résultat | 12 civils tués. |
La rue Transnonain
modifierL’ancienne rue Transnonain, située entre la rue Michel-le-Comte et la rue au Maire, est ouverte au début du XIIIe siècle ; on l'appelle successivement « rue de Châlons » ou « rue de Chalon », « rue Trousse-Nonnain », « rue Trace-Putain » puis « rue Tasse-Nonnain » et enfin « rue Transnonnain ».
La « rue Transnonain », correspond à la partie de la rue Beaubourg située entre la rue du Grenier-Saint-Lazare et la rue Michel-le-Comte au Sud, et la rue au Maire qui longeait Saint-Nicolas-des-Champs au nord. Elle appartenait pour sa partie septentrionale au quartier Sainte-Avoye (ancien 7e arrondissement) et pour sa partie méridionale au quartier Saint-Martin-des-Champs (ancien 6e arrondissement).
Elle a été absorbée par la rue Beaubourg en 1851.
Contexte et histoire du massacre
modifierUn exemple de contestation sous la monarchie de Juillet
modifierLa révolution de 1830 conduisit à la continuation de la monarchie avec un nouveau roi, Louis-Philippe, et quelques aménagements constitutionnels.
Les libertés promises sont vite remise en cause par le nouveau régime, et face à l'évolution conservatrice de la monarchie de Juillet, le gouvernement doit faire face à une forte opposition républicaine, concentrée dans les centres urbains[1]. À cette opposition, s'ajoutent plusieurs émotions populaires, suscitées par des conditions de vie difficiles et les espoirs déçus de la Révolution.
Pour y faire face, le gouvernement instaura plusieurs mesures de répression, dont l'interdiction des associations politiques républicaines et une limitation de la liberté d'expression.
À Lyon, le , se déroule une manifestation organisée par la Société des droits de l'homme et le conseil exécutif des sociétés ouvrières de secours mutuel, notamment à la suite de l'appel de Armand Carrel dans le journal Le National à « répondre à la suspension de la légalité par la suspension de l’ordre public ». Cette manifestation déboucha sur des émeutes, la seconde révolte des canuts, réprimé très durement par les gouvernement.
À Paris, 150 membres de la Société des droits de l'homme sont arrêtés préventivement. Pourtant, au soir du dimanche , des barricades sont dressées dans les quartiers Saint-Merry et Sainte-Avoye. Sur injonction d'Adolphe Thiers, ministre de l'intérieur, un ordre du jour très musclé est donné au général Bugeaud le : « Il faut tout tuer. Amis, pas de quartier, soyez impitoyables »[1].
Le lendemain , à 5 heures du matin, 40 000 hommes de troupes attaquent simultanément les barricades. Le général Rumigny arrive de la Bastille, les troupes de Bugeaud de l'Hôtel de ville, les gardes nationaux des Marchés, et les soldats du 35e de ligne partent de la porte Saint-Martin, sous les ordres du général Lascours. Ce régiment, socle du régime, est déjà l'auteur quatre ans plus tôt d'un massacre de huit cent civils à Blida lors de la conquête coloniale de l'Algérie[2]. Ce sont eux qui interviennent dans la rue Transnonain[1].
Selon la thèse officielle, un capitaine d'infanterie aurait été blessé par un coup de feu tiré depuis une fenêtre près d'une barricade dans la rue Transnonain[3]. En représailles, douze (sur les cinquante)[4],[5] occupants de l'immeuble d'où le tir serait parti, sont massacrés par les militaires. Les autres occupants sont également violentés, dont quatre grièvement[6]. Aucune des victimes n'était armée[1].
Les douze victimes étaient : Jean Breffort (58 ans, fabricant de papier peint), Annette Besson (49 ans, fabricante de papier peint), Louis Besson (22 ans, artiste peintre), Jean-Joseph Lepère (30 ans, doreur sur papier), Pierre Robiquet (29 ans, monteur en bronze), Louis Martin Hû (46 ans, marchand de meubles), Antoine Bouton (52 ans, peintre en bâtiment), Louis Loisillon (20 ans, chapelier). Adolphe Guitard (28 ans, employé), Edmé Daubigny (36 ans, peintre-vitrier), Pierre Delarivière (23 ans, clerc d’avoué) et Pierre Thierry (20 ans, bijoutier)[1].
Un retentissement de l’événement amplifié par la diffusion de la lithographie de Daumier
modifierEn , Honoré Daumier crée une lithographie. Il s’agit de la vingt-quatrième et dernière planche de l’Association Mensuelle. Cette lithographie (art de reproduire par impression les dessins tracés avec un corps gras sur une pierre calcaire) est l’un des chefs-d’œuvre de Daumier, souvent tenue pour l’une des premières manifestations du réalisme. Cette gravure est l’une des œuvres majeures de l’histoire de l’estampe (image imprimée au moyen d’une planche gravée ou par lithographie / gravure) du XIXe siècle. Daumier démontra à la fois la puissance de son style et ses convictions politiques en dénonçant la répression policière.
Cette gravure est le constat de la mort dressé par Daumier à l’intérieur d’une chambre au lit défait, où l’homme glissant du lit a écrasé un bébé sous son poids, tandis que l’on aperçoit au premier plan de façon fragmentaire le visage d’un vieil homme, lui aussi mort.
Dans son explication, Charles Philipon laissa libre cours à l’indignation suscitée par « la boucherie de la rue Transnonain », alors que Daumier s’en tint à la « chose vue », de sorte que la planche ne put être saisie (mais Louis-Philippe en fit rechercher et détruire les exemplaires disponibles sur le marché) : « cette lithographie est horrible à voir, horrible comme l’action épouvantable qu’elle retrace ».
Face à l’absence de polémique dans la lithographie de Daumier, simple constat de la vérité, la censure ne put rien. La planche fut donc publiée et exposée chez Aubert, passage Véro-Dodat, où elle remporta un vif succès. Le gouvernement fit ensuite saisir les épreuves et la pierre. « Ce n’est point une caricature, ce n’est point une charge, c’est une page sanglante de notre histoire moderne », notait Philipon dans le commentaire de la planche. Baudelaire alla dans le même sens quelques années plus tard : « Ce n’est pas précisément de la caricature, c’est de l’histoire, de la terrible et triviale réalité ». De caricaturiste, Daumier se hissa au rang de peintre d’histoire en noir et blanc et devança le courant réaliste en peinture.
Pour le dernier spectacle, dans la salle Transnonain, la toile se leva dans la rue : un drame fut improvisé par la sanglante affaire d’avril. La veille de l’insurrection, on y jouait encore des vaudevilles ; le jour même, on y répéta le bruit d’une vive fusillade. Il ne resta pas beaucoup de morts sur le champ de bataille de la rue Transnonain, et le cimetière Saint-Nicolas, qui n’avait été séparé de l’hôtel de Châlons que par l’une des rues latérales, n’existait plus.
Suites judiciaires
modifierLe le rapport Girod était rendu a et concernait presque 2 000 personnes mises en cause. Le procureur du Roi, Martin du Nord poursuivait 310 accusés mais la cour le mettait en cause 164 prévenus dont 43 étaient absents. Les condamnations furent rendues le .
Presque tous les membres de la Société des droits de l'homme furent poursuivis pour avoir provoqué, préparé et dirigé les émeutes et les autres furent poursuivis pour participation matérielle aux événements de la rue Transnonain.
La maison de la rue Transnonain
modifierLa sanglante « bavure », dénoncée par Daumier, rendit tristement célèbre la maison du no 12, rue Transnonain pendant les émeutes d’.
Pour le procès de l’année suivante, des relevés précis furent effectués pour permettre à la cour des Pairs de localiser les faits relatés par les nombreuses dépositions.
Construite en 1796 à l’angle de la rue Transnonain et de la rue de Montmorency, cette maison occupa une parcelle où subsistaient les vestiges du couvent des Carmélites : ce fut là un de ces espaces parisiens livrés à la spéculation par suite de la vente des biens du clergé à partir de 1793. On estime qu’ils représentaient quatre cents des trois mille trois cent soixante-dix hectares que comptait alors la ville. Les deux propriétaires de l’immeuble n’habitaient pas la maison. Mais il n’y avait pas moins de trente-quatre locataires dont cinq enfants.
Au début du règne de Louis-Philippe, la population du centre de Paris était en plein accroissement. Tous les espaces étaient habités y compris les mansardes.
Un cadre de vie représentatif de Paris avant Haussmann
modifierDans cette maison, trente « actifs » exercent, pour la plupart sur place, des métiers très divers et se répartissent dans les étages en fonction de leur fortune :
- au rez-de-chaussée, les boutiquiers ou artisans ;
- au premier et au deuxième étage, des artisans plus cossus ou des petites entreprises ;
- aux étages supérieurs, des employés, ouvriers, apprentis et journaliers sont bijoutier, chapelier, doreur sur papier, gainier, monteur sur bronze, peintre en bâtiment, tailleur de pierre, couturière, artiste peintre, peintre vitrier, polisseuse en pendules ou ravaudeuse.
Cet immeuble est représentatif de la densité et de la diversité des activités dans le centre de Paris à l’époque de la monarchie de juillet.
L’activité artisanale, le commerce et l’habitat s’y côtoient. Artisans, ouvriers et même le fabricant de papier peint Breffort, habitent des pièces adjacentes à leur atelier, comptoir ou entreprise. Et, sur place encore, le théâtre propose deux ou trois spectacles par semaine !
Les dépositions renseignent avec précision sur les modes de vie et les mentalités des habitants qui, malgré des différences de fortune, semblent avoir appartenu à des milieux relativement homogènes. Ils s’étaient presque tous réfugiés dans deux ou trois logements sur l’arrière pour éviter les balles perdues du côté de la rue, quand la troupe a chargé à l’intérieur de la maison.
Cette convivialité entre les habitants pourrait expliquer le fait que toutes les familles endeuillées par la tuerie ont continué à habiter ensemble sous ce toit, après le drame.
Monument pour les militaires morts en réprimant l'insurrection
modifierLe , sur la proposition du Préfet de la Seine Claude-Philibert Barthelot de Rambuteau, le Conseil municipal de Paris décide de concéder gratuitement et à perpétuité des terrains dans le cimetière du Père-Lachaise, pour les 15 victimes militaires (gardes nationaux, gardes municipaux et soldats) ayant participé à la répression de l'insurrection du 13 et 14 avril[7],[8]. Leurs noms sont également rajoutés sur un monument aux morts situé à proximité[9].
Notes et références
modifier- Maïté Bouyssy, « 1834. La tuerie de la rue Transnonain », L'Histoire, no 399, , p. 80-85
- Benjamin Brower, « Les violences de la conquête », dans Abderrahmane Bouchène, Jean-Pierre Peyroulou, Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault, Histoire de l'Algérie à la période coloniale : 1830-1962, La Découverte, , 720 p. (ISBN 978-2707173263, lire en ligne), p. 58-63
- Jamais rien n'a pu être prouvé sur le tir ou l'absence de tir (Bouyssy, 2014).
- « Cinquante personnes de tout âge, parmi lesquelles deux hommes, trois femmes et un enfant, étrangers à cette maison, y avaient passé la nuit du 13 au 14 avril». Rapport Girod, tome 1, p. 376, https://www.senat.fr/histoire/les_proces_de_la_cour_des_pairs/les_emeutes_de_1834.html
- Luce-Marie ALBIGÈS et Martine ILLAIRE, « L'histoire par l'image / Rue Transnonain, une maison à Paris sous Louis-Philippe », sur histoire-image.org, L'Histoire par l'image, (consulté le ).
- « Dans une seule maison de la rue Transnonain, douze cadavres gisent affreusement mutilés; quatre personnes sont dangereusement blessées : femmes, enfants, vieillards, n'ont pas trouvé grâce. » Mémoire sur les événements de la rue Transnonain, dans les journées des 13 et 14 avril 1834, par Ledru-Rollin
- Louis Féron et Alfred Rey, Annexes au rapport n°115 du Conseil municipal de la Ville de Paris contenant le Livre d'or des Morts pour le Devoir de la Préfecture de Police, du Régiment de Sapeurs-Pompiers de la Ville de Paris, de la Légion de la Garde Républicaine et de la compagnie de Gendarmerie de la Seine, (lire en ligne)
- « Partie non officielle », Le Moniteur universel, , p. 1 (lire en ligne)
- Emmanuel Fureix, La France des larmes : Deuils politiques à l'âge romantique (1814-1840), Editions Champ Vallon, (ISBN 978-2-87673-735-8, lire en ligne)
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Ledru-Rollin, Mémoire sur les événements de la rue Transnonain, Guillaumin, Paris, 1834
- David Guillet (administrateur des Galeries nationales du grand Palais), Daumier (1808-1879), réunions des musées nationaux, Paris, 1999
- Judith Wechsler, Le Cabinet des dessins Daumier, Flammarion, Paris, 1999
- Jean El Gammal, Histoire politique de la France de 1814 à 1870, Nathan/HER, 1999
- Maïté Bouyssy, L'urgence, l'horreur, la démocratie. Essai sur le moment frénétique français 1824-1834, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, p. 222 à 271.
- Maïté Bouyssy, Rue Transnonain, 14 avril 1834. Un massacre à la française, Limoges, Eds Lambert-Lucas, , 283 p. (ISBN 978-2-35935-407-2, SUDOC 278599478).
- Hélène Bonafous-Murat s'inspire de cet événement tragique pour écrire un roman Le Jeune Homme au bras fantôme, Le Passage, 2021
Articles connexes
modifier- 1834 en France
- Révolte des canuts
- Grandes lois sous la monarchie de Juillet
- Thomas-Robert Bugeaud
- Godefroi Cavaignac
- Monarchie de Juillet
- Monument aux victimes de juin