Concert de Mademoiselle Garcia
Je ne sais pourquoi l’apparition des morts est regardée en général comme une chose si horrible et si effrayante ; les esprits les plus fermes sont, à cet égard, aussi faibles que les enfans. Nous frémissons à l’idée de voir reparaître un seul moment les êtres que nous avons le plus aimés, ceux dont la mémoire nous est la plus chère. Au lieu de cette belle coutume des anciens « de séparer par l’action d’un feu pur cet ensemble parfait formé par la nature avec tant de lenteur et de sagesse, » nous ensevelissons à la hâte, en détournant les yeux, le corps de nos meilleurs amis, et une pelletée de terre n’est pas plutôt tombée sur ces corps, que tout le monde évite d’en parler. Il semble que ce soit manquer aux convenances que de rappeler à un fils, à un frère, une mère, une sœur morte ; au lieu de ces urnes qui renfermaient jadis la cendre des familles, et qui restaient près du foyer, nous avons imaginé ces affreux déserts qu’on appelle des cimetières, et nous avons remplacé les évocations antiques par la peur des revenans.
Depuis que Mlle Garcia commence à se faire connaître, tous ceux qui l’ont vue ont remarqué sa ressemblance avec la Malibran, et, le croirait-on ? il paraît certain que plusieurs des anciens amis de la grande cantatrice ont été presque épouvantés de cette ressemblance. On cite, là-dessus, de nombreux exemples, parmi lesquels j’en choisirai un. Il y a à peu près un an, une demoiselle anglaise prenait, à Londres, des leçons de Lablache, qui habitait la même maison que Mlle Garcia ; la jeune personne se disposait à chanter un air de Norma, et son maître, tout en la conseillant, lui parlait de la manière dont la Malibran comprenait cet air ; au moment où l’écolière va se mettre au piano, une voix se fait entendre dans la chambre voisine (c’était Mlle Garcia qui chantait précisément, dit-on, la cavatine de Norma) ; l’Anglaise croit reconnaître la voix de la Malibran elle-même, elle s’arrête, frappée de surprise ; elle s’imagine qu’un fantôme vient lui donner leçon ; la terreur s’empare d’elle, elle s’évanouit.
Il me semble qu’en pareil cas j’aurais été ouvrir la porte au fantôme. La première fois que j’ai entendu Mlle Garcia, j’ai cru aussi un peu voir un revenant, mais j’avoue que ce revenant de dix-sept ans m’a inspiré toute autre chose que l’envie de me trouver mal. Il est certain qu’aux premiers accens, pour quiconque a aimé la sœur aînée, il est impossible de ne pas être ému. La ressemblance, qui consiste, du reste, plutôt dans la voix que dans les traits, est tellement frappante qu’elle paraîtrait surnaturelle, s’il n’était pas tout simple que deux sœurs se ressemblent. C’est le même timbre, clair, sonore, hardi, ce coup de gosier espagnol qui a quelque chose de si rude et de si doux à la fois, et qui produit sur nous une impression à peu près analogue à la saveur d’un fruit sauvage. Mais, si le timbre seul était pareil, ce serait un hasard de peu d’importance, bon, en effet, tout au plus, à donner des attaques de nerfs ; heureusement pour nous, si Pauline Garcia a la voix de sa sœur, elle en a l’ame en même temps, et, sans la moindre imitation, c’est le même génie ; je ne crois, en le disant, ni exagérer, ni me tromper.
Je n’ai pas la prétention de rendre compte en détail du concert qui a été donné au théâtre de la Renaissance ; je ne vous dirai pas si Mlle Garcia va de sol en mi et de fa en ré, si sa voix est un mezzo soprano ou un contralto, par la très bonne raison que je ne me connais pas à ces sortes de choses, et que je me tromperais probablement. Je ne suis pas musicien, et je puis dire, à peu près comme M. de Maistre : J’en atteste le ciel, et tous ceux qui m’ont entendu jouer du piano. La jeune artiste a chanté trois airs : voici le jugement qu’en portait une personne d’esprit, dans une lettre écrite le lendemain, qui vaut mieux que ce que je pourrais dire : « Elle a chanté d’abord un air de Costa fait pour la Malibran, qui est une sorte de vocalise très favorable au développement de toutes les belles cordes ; grands applaudissemens, mais pas d’émotion ; ensuite l’air de M. de Bériot, mais l’orchestre a mal accompagné ; elle tient sa musique à la main avec une grace particulière, et elle est décidément jolie à la scène. Elle était tout en blanc, une chaîne noire avec un petit diamant sur le haut du front ; elle avait l’air plein de distinction ; elle salue aussi en se pliant un peu, et ce salut plein de modestie frappe par sa dignité ; sans séparation avec le tremolo qui avait enlevé le parterre, elle a chanté la cadence du diable ; mauvaise musique, tour de force à deux qui vous laisse étonné, et voilà tout. Vous voyez qu’elle n’a pu développer ni son talent dramatique, ni son vrai chant ; on l’avait un peu sacrifiée. »
Mlle Garcia sait cinq langues ; elle peut jouer sur un théâtre allemand, anglais, français, espagnol ou italien, et elle serait aussi à son aise à New-York ou à Vienne qu’à la Scala ou à l’Odéon. Elle s’accompagne elle-même avec la plus grande facilité ; lorsqu’elle chante, elle ne semble éprouver aucun embarras, ni mettre aucune application ; que ce soit une cavatine ou un boléro, un air de Mozart ou une romance d’Amédée de Beauplan, elle se livre à l’inspiration avec cette simplicité pleine d’aisance qui donne à tout un air de grandeur. Bien qu’elle ait fait de longues études, et que cette facilité cache une science profonde, il semble qu’elle soit comme les gens de qualité qui savent tout sans avoir jamais rien appris. On ne sent pas, en l’écoutant, ce plaisir pénible que nous causent toujours des efforts calculés, quand même le résultat serait la perfection ; elle n’est pas de ces artistes travailleurs qu’on admire en fronçant le sourcil et dont le talent donne des maux de tête. Elle chante comme elle respire ; quoiqu’on sache qu’elle n’a que dix-sept ans, son talent est si naturel, qu’on ne pense même pas à s’en étonner. Sa physionomie, pleine d’expression, change avec une rapidité prodigieuse, avec une liberté extrême, non-seulement selon le morceau, mais selon la phrase qu’elle exécute. Elle possède, en un mot, le grand secret des artistes ; avant d’exprimer, elle sent. Ce n’est pas sa voix qu’elle écoute, c’est son cœur, et si Boileau a eu raison de dire :
Je n’ai jamais compris par quelle raison on est, pour ainsi dire, convenu de ne parler franchement avec éloge que des morts, à moins que ce ne soit pour réserver les injures aux vivans. L’esprit humain est si misérable, que la louange la plus sincère passe presque toujours pour un compliment, dès qu’elle s’adresse à une personne qui n’est pas aux antipodes ou en terre. « J’ose dire ce que j’ose faire, » disait Montaigne. On devrait oser dire ce qu’on ose penser. Je pense donc que Mlle Garcia, qui doit, je crois, débuter dans deux ans, a devant elle un avenir aussi glorieux que celui de sa sœur. Je n’ai qu’un regret, c’est qu’elle ne débute pas ce soir, afin de nous délivrer d’un genre faux, affecté, ridicule, qui est à la mode aujourd’hui.
Je suis loin, en parlant ainsi, de vouloir nier que nous ayons d’excellens artistes ; ils sont même si bien connus, qu’il est inutile de les citer : il ne m’entre d’ailleurs dans l’esprit d’attaquer personne, c’est un métier que je n’aime pas. Je veux parler, non d’un acteur, ni d’un théâtre, mais d’un genre, lequel est une exagération perpétuelle. Cette maladie règne partout, envahit tout ; on s’en fait gloire. C’est l’affectation du naturel, parodie plus fatigante, plus désagréable à voir que toutes les froideurs de la tradition ancienne. La tradition est très ennuyeuse, je le sais ; elle a un défaut insupportable, c’est de faire des mannequins qui semblent tenir tous à un même fil, et qui ne remuent que lorsqu’on tire ce fil ; l’acteur devient une marionnette. Mais l’exagération du naturel est encore pire. Si, du moins, puisque maintenant le joug de la tradition est brisé, le comédien, livré à lui-même, suivait réellement son inspiration, bonne ou mauvaise, il n’y aurait que demi-mal. On verrait sur la scène des personnages vrais, les uns ridicules, les autres sérieux, les uns froids, les autres passionnés. Il n’y a pas deux hommes qui sentent de même ; chacun exprimerait donc à sa façon. Au lieu de cela, qu’arrive-t-il ? La Malibran, il faut en convenir, a contribué à amener le genre à la mode ; elle s’abandonnait à tous les mouvemens, à tous les gestes, à tous les moyens possibles de rendre sa pensée ; elle marchait brusquement, elle courait, elle riait, elle pleurait, se frappait le front, se décoiffait, tout cela sans songer au parterre ; mais du moins elle était vraie dans son désordre. Ces pleurs, ces rires, ces cheveux déroulés, étaient à elle, et ce n’était pas pour imiter telle ou telle actrice qu’elle se jetait par terre dans Othello. Quelle impression voulez-vous produire sur moi, quand vous vous arracheriez réellement les cheveux et quand vous en feriez cent fois plus que la Malibran, si je m’aperçois que vous ne sentez rien ? Quel intérêt voulez-vous que je prenne à vos cris de désespoir, à vos contorsions ? Je n’en comprends même pas le motif, je ne sais pas pourquoi vous vous démenez ainsi. Lorsque les chanteurs allemands sont venus à Paris, il y avait une certaine actrice qui s’appelait, je crois, Mme Fischer ; c’était une jolie personne, grande, blonde, avec une voix très fraîche ; elle se posait sur le bord de la rampe, près du trou du souffleur ; elle joignait les mains comme quelqu’un qui fait sa prière, et là, elle chantait de son mieux. Jamais elle ne bougeait autrement, son air durât-il une demi-heure ; si on lui criait bis, elle revenait à la même place, rapprochait ses mains et recommençait. Ce n’était certainement pas une Malibran, c’était Mme Fischer, chantant à sa manière et ne cherchant à imiter personne ; elle n’en faisait pas beaucoup, il est vrai, mais pourquoi en aurait-elle fait plus si elle n’en sentait pas davantage ? Voilà une question qu’on pourrait aujourd’hui adresser à bien des gens : pourquoi en faites-vous tant ? Vous vous croyez sublime, et vous seriez peut-être passable si vous en faisiez moitié moins.
L’exagération des acteurs vient de la manie, ou plutôt de la rage de faire de l’effet, qui semble aujourd’hui s’être emparée de tout le monde. Je veux bien supposer que cette manie a existé dans tous les temps, mais je ne puis croire qu’elle ait jamais été poussée si loin. On dirait que nous avons la simplicité en horreur. Auteurs, acteurs, musiciens, tous ont le même but, l’effet, et rien de plus ; tout est bon pour y parvenir, et dès qu’on l’atteint, tout est dit ; l’orchestre tâche de faire le plus de bruit possible pour qu’on l’entende ; le chanteur, qui veut couvrir le fracas de l’orchestre, crie à tue-tête ; le peintre et le machiniste entassent dans les décorations des charpentes énormes, afin qu’on regarde leur nom sur l’affiche ; l’auteur ajoute à l’orchestre quarante trompettes, afin que son opéra fasse plus de tapage que le précédent, et ainsi de suite, les uns renchérissant sur les autres. Le public ébahi, assourdi, ouvre les yeux et les oreilles dans une stupeur muette ; le directeur ne pense qu’à la recette et fait mousser la pièce dans les journaux ; et, au milieu de tout cela, il n’y a pas une honnête créature qui se demande si autrefois il n’existait pas quelque chose qu’on appelait la musique.
Ce qu’il y a d’inoui dans ce temps-ci, c’est qu’on nous donne Don Juan et que nous y allons. Mme Persiani nous chante : Vedrai carino, l’air le plus simple et le plus naïf du monde, et nous le trouvons charmant. En sortant de là, nous allons voir l’opéra à la mode ; nous voilà dans une tombe, dans l’enfer, que sais-je ? Voilà des bourreaux, des chevaux, des armures, des orgies, des coups de pistolet, des cloches, pas une phrase musicale ; un bruit à se sauver, ou à devenir fou ; et nous trouvons encore cela charmant, juste autant que Vedrai carino. Pauvre petit air, que Mozart semble avoir écrit pour une fauvette amoureuse, que deviendrait-il, grand Dieu ! si on le mettait dans un opéra à cloches et à trompettes ?
Ce que je disais tout à l’heure de ma science musicale, me donne sans doute peu d’autorité en cette matière ; je n’ai pas les armes nécessaires pour attaquer un genre que je crois mauvais, et tout ce que je puis dire, c’est qu’il est mauvais. De plus habiles que moi sauraient expliquer pourquoi, et de plus habiles le pensent ; mais on ne le dit pas assez. Je me souviens d’avoir lu quelque part une excellente question d’Alphonse Karr « Mais, monsieur, demande un spectateur à son voisin en écoutant un opéra, croyez-vous que ce soit réellement de la musique ? » Je ne sais trop ce que répond le voisin ; mais je répondrais en pareil cas : « Non, monsieur, ce n’est pas précisément de la musique, et cependant on ne peut pas dire non plus tout-à-fait que ce n’en soit pas. » C’est un terme-moyen entre de la musique et pas de musique ; ce sont des airs qui ne sont ni des airs ni des récitatifs, des phrases qui ont une velléité d’être des phrases, mais qui, au fond, n’en sont pas. Quant à des chants, à de la mélodie, ce n’est plus de cela qu’il s’agit ; on ne chante plus, on parle ou on crie ; c’est peut-être une sorte de déclamation notée, un compromis entre le mélodrame, la tragédie, l’opéra, le ballet et le diorama. C’est un assemblage de choses qui remuent les sens ; la musique s’y trouve peut-être, mais je ne saurais dire quel est le rôle qu’elle y joue. Du reste, demandez à tel chanteur italien que nous connaissons tous s’il admire cet opéra, il vous répondra que oui, qu’il y a dedans des choses superbes, de grands effets, de belles combinaisons d’harmonie, beaucoup de science et de travail ; mais demandez-lui s’il voudrait y chanter un rôle, il vous répondra qu’il aimerait mieux être aux galères.
Il est temps qu’on nous débarrasse de la maladie des effets. Il faut, lorsque Mlle Garcia débutera, qu’elle ait le courage de dire à l’orchestre : Messieurs, pas si haut ; aux acteurs : Vous criez trop fort ; et à l’auteur : Votre opéra est un charivari. Il faut du courage et de l’énergie pour oser parler aussi clairement ; mais, quand on s’appelle Garcia, qu’on est sœur de Ninette et fille de Don Juan, on peut tenir un pareil langage, ou plutôt on n’a pas besoin d’y penser ; la vérité est une force invincible, qui a son cours comme les fleuves, et le génie est le levier dont elle se sert. On parle déjà d’un opéra nouveau qu’on ferait pour Mlle Garcia, on dit aussi qu’elle va en Angleterre ; ce seraient deux torts ; il ne faut pas aller en Angleterre, parce que c’est à Paris qu’est le vrai public, et il ne faut pas débuter dans un opéra nouveau, parce que c’est dans les maîtres qu’est la vraie musique. De ce que toutes les cantatrices du monde ont joué un rôle, ce n’est pas une raison pour qu’une débutante recule devant ce rôle ; bien au contraire, c’est par ce motif même qu’il faut qu’elle le joue à son tour. La Malibran, la Pasta, Mme Fodor, qui vous voudrez encore, ont chanté tel opéra ; chantez-le donc aussi, et que, par vous comme par elle, cet opéra devienne nouveau pour nous… Mais je m’aperçois que, sans y penser, je donne à Mlle Garcia des conseils dont elle n’a pas besoin. J’aurais dû borner cet article à un seul mot : la Malibran est revenue au monde, il n’y a pas d’inquiétude à avoir, et on n’a qu’à la laisser faire.
Le jour même où j’ai entendu Mlle Garcia, en passant le matin sur le Pont-Royal j’ai rencontré Mlle Rachel. Elle était dans un cabriolet de place avec sa mère, et, chemin faisant, elle lisait ; probablement elle étudiait un rôle. Je la regardais venir de loin, son livre à la main, avec sa physionomie grave et douce, plongée dans une préoccupation profonde ; elle jetait un coup d’œil sur son livre, puis elle semblait réfléchir. Je ne pouvais m’empêcher de comparer en moi-même ces deux jeunes filles, qui sont du même âge, destinées toutes deux à faire une révolution et une époque dans l’histoire des arts ; l’une sachant cinq langues, s’accompagnant elle-même avec l’aisance et l’aplomb d’un maître, pleine de feu et de vivacité, causant comme une artiste et comme une princesse, dessinant comme Grandville, chantant comme sa sœur ; l’autre, ne sachant rien que lire et comprendre, simple, recueillie, silencieuse, née dans la pauvreté, n’ayant pour tout bien, pour toute occupation et pour toute gloire, que ce petit livre qui s’en allait vacillant dans sa main. Elles sont pourtant sœurs, me disais-je, ces deux enfans qui ne se connaissent pas, qui ne se rencontreront peut-être jamais. Il y a entre elles une parenté sacrée, le même point de départ et deux routes si diverses, le même but et deux résultats si différens ! Celle-là n’a qu’à ouvrir les lèvres pour que tout le monde l’aime et l’admire ; on pourrait dire qu’elle est née fleur, et que la musique est son parfum ; et celle-ci, quel travail, quel effort ne faut-il pas à cette petite tête pour comprendre la délicatesse d’un courtisan de Louis XIV, la noblesse et la modestie de Monime, l’ame farouche de Roxane, la grace des muses, la poésie des passions ! quelle difficulté dans sa tâche, et quel prodige qu’elle y réussisse ! Oui, le génie est un don du ciel, c’est lui qui déborde dans Pauline Garcia comme un vin généreux dans une coupe trop pleine ; c’est lui qui brille au fond des yeux distraits de Rachel comme une étincelle sous la cendre. Oui, il y a dans ce moment-ci un coup de vent dans le monde des arts ; la tradition ancienne était une admirable convention, mais c’était une convention ; le débordement romantique a été un déluge effrayant, mais une importante conquête. Le joug est brisé, la fièvre est passée ; il est temps que la vérité règne, pure, sans nuages, dégagée de l’exagération de la licence, comme des entraves de la convention. Le retour à la vérité est la mission de ces deux jeunes filles. Qu’elles l’accomplissent ! qu’elles suivent leur chemin ! Il ne m’appartient malheureusement pas de les suivre, mais je puis du moins les regarder partir, et boire à leur santé le coup de l’étrier.
Tout en rêvant ainsi, je suis allé au concert, et, comme il faut toujours qu’un rimeur rime ses pensées, j’ai fait, tant bien que mal, ces strophes :
Ainsi donc, quoi qu’on dise, elle ne tarit pas
La source immortelle et féconde
Que le coursier divin fit jaillir sous ses pas.
Elle existe toujours, cette sève du monde,
Elle coule, et les dieux sont encore ici-bas !
À quoi nous servent donc tant de luttes frivoles,
Tant d’efforts toujours vains et toujours renaissans ?
Un chaos si pompeux d’inutiles paroles,
Et tant de marteaux impuissans,
Frappant les anciennes idoles ?
Discourons sur les arts, faisons les connaisseurs ;
Nous aurons beau changer d’erreurs
Comme un libertin de maîtresse ;
Les lilas au printemps seront toujours en fleurs,
Et les arts immortels rajeuniront sans cesse.
Discutons nos travers, nos rêves et nos goûts,
Comparons à loisir le moderne et l’antique,
Et ferraillons sous ces drapeaux jaloux.
Quand nous serons au bout de notre rhétorique,
Deux enfans nés d’hier en sauront plus que nous.
Ô jeunes cœurs remplis d’antique poésie,
Soyez les bienvenus, enfans aimés des dieux !
Vous avez le même âge et le même génie.
La douce clarté soit bénie
Que vous ramenez dans nos yeux !
Allez, que le bonheur vous suive !
Ce n’est pas du hasard un caprice inconstant
Qui vous fit naître au même instant.
Votre mère ici-bas, c’est la Muse attentive
Qui sur le feu sacré veille éternellement.
Obéissez sans crainte au dieu qui vous inspire.
Ignorez, s’il se peut, que nous parlons de vous.
Ces plaintes, ces accords, ces pleurs, ce frais sourire,
Tous vos trésors, donnez-les nous :
Chantez, enfans, laissez-nous dire.