édition[1] qu’on ne saurait trop recommander), qu’il faut aller chercher les secrets de la biographie intime et du caractère littéraire de Dante. Moins le génie, qui se retrouve çà et là pourtant dans les Rimes, mais qu’il a surtout gardé pour son poème, Alighieri est là tout entier.
J’ai dit qu’il y avait trois hommes chez Dante, qu’il ne faut cependant pas séparer : un poète, un politique, un philosophe. C’est de ce dernier que s’est exclusivement préoccupé M. Ozanam dans une vaste thèse, qui, complétée depuis et amplifiée, est devenue un livre important sous le titre de Dante et la Philosophie catholique au treizième siècle[2]. Le marquis Azzelino, dans un livre assez déclamatoire[3], avait déjà essayé de poser, comme on dit dans le patois d’aujourd’hui, la formule dantesque. M. Ozanam a considéré Dante d’un point de vue encore plus spécial ; il n’a vu en lui que le philosophe, le disciple de saint Thomas ; il a reconstruit, à grand renfort d’érudition et de textes, ce qu’il croit être le système d’Alighieri. Déjà un professeur distingué, enlevé jeune à la science, M. Bach, dans un opuscule peu répandu, avait touché à ce point curieux et indiqué les plus frappans rapports entre la Somme et la Divine Comédie. M. Ozanam n’a fait que développer cette donnée sur une plus large échelle et avec beaucoup plus de solennité. On conçoit ce qu’il doit y avoir d’arbitraire dans un procédé qui dédouble ainsi un homme avec parti pris, et qui veut à toute force trouver isolément un philosophe sous un poète. Souvent les assertions de Dante sont flottantes, poétiques, et M. Ozanam, comblant les intervalles, les réduit en formules rigoureuses. Si le vieil Alighieri pouvait encore revenir de l’enfer, comme disaient les femmes de Ravenne, il se reconnaîtrait peut-être assez difficilement dans le livre de M. Ozanam, ou du moins il y trouverait sa science philosophique singulièrement étendue et affermie.
M. Ozanam déploie dans son livre une vaste et réelle érudition qui mérite des éloges ; mais nous ne saurions goûter son style au même degré, malgré l’incontestable talent dont il fait preuve. M. Ozanam appartient à cette nouvelle école catholique, assez intolérante, très paradoxale, que M. Lacordaire représente dans la chaire ; c’est le romantisme religieux, le pire des romantismes, qui sacrifie tout à l’image, à la période, et pour qui la pensée passe toujours après la métaphore. Néanmoins l’ouvrage de M. Ozanam mérite d’être remarqué ; il contient beaucoup de vues, de recherches curieuses, d’additions intéressantes. Il est à regretter que tant de qualités précieuses et une naturelle élévation soient gâtées par un ton dogmatique et par un lyrisme vulgaire.
Dans la remarquable traduction en prose qu’il vient de donner de la Divine Comédie[4], et qui est assurément une des meilleures que nous possédions,