pellier, on ne l’avait point revu au pays ; les deux époux avaient résolu qu’il ne rentrerait au gîte qu’après ces cinq années d’épreuve, avec le litre de docteur. C’était un garçon timide qu’on sentait le besoin de dépayser, réservé, silencieux, craintif, et rougissant comme une vierge, quand une femme lui parlait. Lors de son départ, il comptait quatre lustres à peine : blond, rose et frêle, nature délicate et presque débile. On avait eu l’idée de l’envoyer à Paris, mais à cause de sa faible constitution on s’était décidé pour Montpellier, le climat de Montpellier étant, comme on sait, le plus sain et le plus indulgent du royaume. C’était d’ailleurs à Montpellier qu’Aristide Herbeau avait gagné ses grades, et il se croyait engagé d’honneur à faire hommage de son fils à l’académie dont il était membre. La séparation avait été cruelle, car, de part et d’autre, on prévoyait qu’elle serait longue. Mme Herbeau s’était évanouie dans les derniers adieux ; Célestin avait versé des larmes abondantes. Le docteur, dans une allocution sévère et touchante, avait tracé à son fils le plan de conduite qu’il aurait désormais à suivre, l’engageant par-dessus toute chose à vaincre cette timidité naturelle qui paralysait ses moyens et nuisait au développement de ses facultés. Depuis ce jour, cinq ans avaient passé sans ramener l’enfant à sa famille. Plus d’une fois, Mme Herbeau avait éprouvé le besoin d’aller embrasser son fils ; mais les communications entre Saint-Léonard et Montpellier sont difficiles et périlleuses : Célestin avait fait de son voyage une relation terrible. À l’en croire, la route du Puy à Alais serait suspendue sur un abîme. Entre Castaro et Langogne, ayant eu l’imprudence de descendre de voiture pour se réchauffer les pieds, il avait été poursuivi par une bande de loups affamés. Adélaïde ne pouvait guère s’aventurer seule dans ces dangereux parages ; Aristide, de son côté, ne pouvait délaisser ses malades. Il avait donc fallu se résigner et s’en tenir aux lettres de Célestin. Le jeune étudiant avait commencé par se plaindre de l’isolement de sa vie et du vide affreux de son ame, pleurant le kiosque de son père et les bords fleuris de la Vienne ; car c’était un esprit éminemment pastoral, nourri, dès l’enfance, de Virgile et de Théocrite. Il avait plus d’une fois embouché les pipeaux champêtres, et les dryades, les faunes et les sylvains charmés étaient accourus pour l’entendre. Durant la première année de son exil, lors de la fête de Mme Herbeau, Célestin avait adressé à sa mère une idylle dont on parle encore à Saint-Léonard. C’était un dialogue entre deux bergers, dont l’un, exilé et proscrit, gardait ses moutons sur la terre étrangère. Vainement l’autre berger lui vantait les gras pâturages, les haies ver-
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