vous avez fait le cruel avec lui. Savez-vous qu’on vous a attendu ici tout un jour et que tout était prêt pour vous recevoir ? Il est vrai, ajouta-t-elle, que ce n’est pas bien gai, le château de Riquemont.
— Madame, répliqua Savenay, je n’ai vraiment été cruel qu’envers moi-même. Les prévenances de M. Riquemont me sont allées droit au cœur, et croyez qu’il m’eût été doux de pouvoir y répondre ; mais le pouvais-je sans démériter de M. Herbeau, sans affliger cet excellent homme qui vous aime et que vous aimez ? Toute affection vraie est ombrageuse, inquiète et jalouse, et vous-même, madame, n’auriez-vous pas souffert de voir un étranger usurper en ces lieux les droits d’une vieille amitié ?
Louise remercia par un regard ; ces paroles avaient répondu à tous les nobles instincts de son cœur. Le nom de M. Herbeau une fois prononcé, on parla du bon docteur, Louise avec tendresse, Savenay avec toute sorte de respect et de bienveillance. Puis, par je ne sais quelle transition, la conversation alla s’égarer sur les rivages de la Creuse. Ils regrettaient ces bords heureux, ils en parlèrent avec amour. Savenay récita les vers qu’un poète, leur compatriote, adressa, exilé comme eux, à la rivière de ce doux pays, et lorsqu’il arriva à ces deux vers :
Le bonheur était là, sur ce même rocher
D’où nous sommes partis tous deux pour le chercher,
Louise se troubla et ses yeux se remplirent de larmes. Ils s’entretinrent aussi de cette jeune sœur qui avait été tout d’abord un mystérieux lien entre eux. Louise écouta, comme au premier jour, avec un avide intérêt, le douloureux poème de cette languissante jeunesse. Il se trouva que le coin de terre où s’était élevé M. Savenay avoisinait presque le domaine de Marsanges, où Louise avait passé les meilleurs jours de son enfance. Ils avaient dû boire aux mêmes sources, gravir les mêmes coteaux, s’asseoir sous les mêmes ombrages. Ils auraient pu se rencontrer aux alentours, mais Louise n’était encore qu’une enfant, qu’il allait déjà, loin des champs paternels, demander au travail les secrets de la science. Comme Louise semblait s’étonner qu’aimant ainsi le sol natal, ce jeune homme s’en fût exilé pour venir se fixer à Saint-Léonard, il raconta que sa mère était née à Saint-Léonard, et que sa dernière ambition était de pouvoir achever la vie où elle l’avait commencée. D’ailleurs, ajoutait Savenay, les braves gens qui nous ont vu naître nous voient toujours avec des lisières, et il est moins difficile d’être prophète que médecin en son pays.