des trois. Espartero a sans doute beaucoup de bravoure personnelle : sur le champ de bataille, il paie noblement de sa personne. Mais d’ailleurs qu’a-t-il fait ? Quels sont ces grands exploits, ces victoires éclatantes qui auraient changé la face des choses et placé le vainqueur fort au-dessus de tous ses égaux ? Il n’y a pas un général de brigade de la république ou de l’empire dont la vie militaire ne soit plus remarquable que la sienne. Aussi, lorsque, l’an dernier, il donnait à Barcelone une méchante contrefaçon du 18 brumaire, le pays l’a laissé faire, mais il n’a pas accepté son ouvrage.
Le premier étonnement une fois passé, chacun a regardé autour de soi et a vu avec surprise l’œuvre qui venait de s’accomplir. Le parti modéré a dû se reprocher amèrement sa coupable insouciance, ce déplorable égoïsme personnel qui a souvent aveuglé les majorités, qui leur ôte toute vue d’ensemble et toute puissance d’action. Le parti légitimiste, trop convaincu désormais de la profonde incapacité de don Carlos, a pu craindre que le principe monarchique lui-même ne se trouvât compromis en Espagne par l’avènement du parti exalté, et plus d’un carliste a dû se dire qu’après tout la question de la monarchie devait l’emporter sur la querelle de la succession.
D’un autre côté, pouvait-on ne pas voir que l’élévation d’Espartero avait profondément blessé plus d’un de ses compagnons d’armes ? que les faveurs accordées à certains corps de l’armée étaient une offense pour les autres ? qu’Espartero n’avait pas cette puissance morale qui dompte les égaux et fanatise les inférieurs ?
Instrument d’un parti, Espartero avait dû en suivre les inspirations, et n’avait pu s’élever à aucune de ces grandes mesures qui, en réorganisant un pays, l’enchaînent dans les liens de la reconnaissance, et lui font oublier l’illégalité des procédés par l’utilité des résultats. Si Espartero avait pu imiter le général Bonaparte faisant violence à la loi, il était hors d’état d’imiter le premier consul. Aussi, tandis que, par une mesure digne d’éloges, il rappelait en Espagne les carlistes, les modérés, effrayés des tendances révolutionnaires du pouvoir, quittaient le sol de l’Espagne ; le clergé s’irritait de plus en plus contre le nouvel ordre de choses, et le gouvernement, désespérant désormais d’obtenir le concours du pays, s’appliquait d’autant plus à épurer l’armée et à mériter les bonnes graces de l’Angleterre.
On dit qu’en même temps il avait fini par prêter l’oreille aux ouvertures qui lui avaient été faites par les agens de l’infant don François de Paule. L’infant aurait demandé une part dans la tutelle de la reine Isabelle, le mariage de la reine avec le duc de Cadix, fils de l’infant, et quelques autres concessions moins importantes. On ajoute qu’Espartero, après avoir long-temps repoussé ces propositions, avait en dernier lieu changé d’avis, et envoyé en France M. de Hoyos pour régler les points préliminaires et ramener en Espagne la famille de l’infant. La résolution d’Espartero paraît s’expliquer facilement. D’un côté, le mariage de la reine avec le duc de Cadix est un des projets de l’Angleterre à l’égard de l’Espagne. De l’autre, Espartero n’est plus, dit-on,