Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/631

Cette page a été validée par deux contributeurs.
627
LE CONSEIL D’ÉTAT.

pour réprimer les tendances contraires des juridictions placées sous sa loi.

Des raisons d’un autre ordre s’opposent à ce que la justice civile connaisse du contentieux administratif.

Les procédures judiciaires entraînent des frais et des lenteurs que comporteraient difficilement les litiges administratifs. Ils exigent généralement une solution prompte, et ce serait nuire à l’exercice même de droits légitimes et dignes d’appui et imposer au trésor des charges onéreuses, que de soumettre ces litiges à des instructions coûteuses.

Les tribunaux civils sont nombreux, et par suite ils occupent un territoire restreint ; plusieurs cours d’appel se partagent le royaume. Les affaires administratives, celles par exemple qui concernent les fournitures aux armées, les grands travaux publics, les desséchemens, etc., embrassent souvent de vastes circonscriptions. Le contentieux de l’administration doit être centralisé comme le gouvernement lui-même, et déféré, au moins sur l’appel, à un tribunal unique.

Enfin, et cette considération est la plus grave peut-être, si le contentieux administratif était déféré à l’autorité judiciaire, les limites qui le séparent de l’administration pure seraient exposées à de fréquentes violations. Leur maintien ne pourrait être assuré qu’au moyen de conflits sans cesse répétés, dont la fréquence établirait des luttes fâcheuses entre l’administration et l’autorité judiciaire, et jetterait peut-être l’inquiétude parmi les citoyens.

Je ne crois donc pas que les tribunaux civils puissent être chargés du jugement du contentieux administratif.


La création d’une cour administrative spéciale offrirait moins d’inconvéniens : parallèle à la cour des comptes, investie d’une juridiction d’appel, placée sous la censure du conseil d’état, en cas de recours pour incompétence, excès de pouvoirs, ou violation de la loi, elle offrirait aux justiciables des garanties étendues et ne mettrait point en péril les intérêts publics. Mais on érigerait ainsi un corps nouveau, une autorité non encore essayée, et, dans notre pays de hardiesse révolutionnaire et de théories parfois aventureuses, toute création inquiète ; le budget serait grevé d’une dépense nouvelle ; enfin, les craintes qu’inspire à des hommes de très bonne foi la reconnaissance légale d’une juridiction administrative, trouveraient, je l’avoue, une base plus réelle dans la formation d’un tel corps que dans les autres combinaisons proposées jusqu’ici.