et du bien-être que cette position lui assurait, et ne chercha pas à tirer un autre parti de sa liaison étroite avec M. Lainé. S’il avait désiré la gloire, ou du moins la renommée, n’avait-il pas en lui et autour de lui mille moyens d’y atteindre ? Et pourtant il se condamna à l’obscurité, non pas comme tant d’autres par pure insouciance ou par paresse, mais de parti pris, par indifférence pour « la gloire que le monde donne. » Il recherchait pour ses écrits les suffrages des corps savans, parce qu’il y voyait surtout une confirmation de ses idées, et le beau mémoire auquel l’académie de Copenhague décerna le prix, il n’y avait pas mis son nom. Une seule fois il commença l’impression d’un de ses ouvrages, mais le dégoût le prit à moitié chemin, et la publication n’eut pas lieu. Il lui arriva d’entreprendre un article pour un journal de philosophie, et à peine se fut-il mis en train de le composer, qu’il oublia l’article et le journal, et écrivit un long mémoire destiné, comme les autres, à rester enfoui dans ses cartons, après avoir été communiqué à quelques amis.
Le caractère de la philosophie de M. de Biran s’accorde à merveille avec cet esprit de modération timide et de réserve. La grande ambition lui a manqué dans la philosophie comme dans la vie ; il n’a été, il n’a voulu être qu’un psychologue. Tandis que d’autres philosophes, comme s’ils rougissaient de l’austérité de la science, se hâtent de mettre en avant les conséquences pratiques et de jeter cette pâture aux esprits d’un ordre inférieur, M. de Biran songe à peine pour lui-même aux conclusions que fournit la science de l’esprit humain sur la théodicée, la morale et la politique. Ces grandes questions, qui attirent toutes les intelligences, ne font au contraire qu’effrayer la sienne. Il semble qu’il s’est retiré si profondément en lui-même, qu’il n’a plus ni le besoin ni la force d’en sortir. La psychologie n’est pas pour lui le commencement de la science, mais la science toute entière, et quand il l’entreprend, ce n’est pas pour marcher ensuite en avant par son secours, c’est pour s’y arrêter et s’y complaire, et en faire l’occupation de toute sa vie.
Les œuvres de M. de Biran sont aujourd’hui complètement publiées, et, de tous les mémoires dont elles se composent, il n’en est pas un qui n’ait pour objet l’analyse des faits de conscience. On peut suivre la marche de son esprit et faire en quelque sorte l’histoire de ses pensées en lisant ses quatre principaux ouvrages dans l’ordre de leur composition. Le premier est un mémoire sur l’Habitude, qui fut couronné par l’Institut en 1802. C’est une analyse très ingénieuse et très délicate, qui atteste déjà un grand fonds d’observations sur la nature