raillait jusqu’au bout ; mais, chez lui, c’était plutôt fidélité à son caractère qu’à ses principes.
M. de Biran se sépara complètement de l’école condillaccienne par son mémoire sur la Décomposition de la Pensée, qui fut couronné à l’Institut en 1805. Depuis son traité De l’Habitude, son esprit s’était mûri, et les doctrines sensualistes ne lui suffisaient plus. Tandis que dans son premier ouvrage, les habitudes morales et intellectuelles sont sacrifiées presque partout à ce qui touche aux besoins physiques et aux sensations, on voit, on sent, dans le second, que l’auteur est en proie à des préoccupations tout opposées. L’activité personnelle n’y est plus une sensation transformée, mais un principe distinct et spécial qui produit des phénomènes d’une autre nature, qui réagit sur les sensations, qui les corrige l’une par l’autre, qui les dompte ou les reçoit comme des modifications de lui-même, en un mot qui s’oppose comme énergie spontanée à l’action de forces externes qui s’exercent sur lui et tendent à le modifier par les sensations qu’elles lui impriment. La volonté reprend dans la psychologie la place usurpée par des phénomènes passifs. La sensation a deux qualités qui lui sont inhérentes ; elle est passive, elle est éphémère. Avec un pareil élément, si vous construisez tout l’homme, il n’y aura rien en lui que de passif et de transitoire. Non-seulement il ne sera pas une cause, mais il n’aura pas même la notion de cause. De là, à nier avec Hume l’existence des corps, et avec Diderot celle de Dieu, il n’y a qu’un pas. Une telle psychologie, qui met l’homme à la merci de tout ce qui l’entoure, serait bonne tout au plus pour cette triste et plaintive famille de poètes qui ouvrent sans cesse leur ame aux impressions du dehors, n’expriment dans leurs vers qu’un sentiment passager, et se comparent eux-mêmes à une lyre dont chaque souffle du vent fait frémir les cordes. Poésie vague et indécise, philosophie énervée qui croit connaître la nature humaine et ne sent pas se développer et grandir sous son regard cette force vivante et libre, seule image de Dieu dans les créatures ! La formule de Descartes, « je pense, donc je suis, » donne à la science humaine la connaissance immédiate du moi comme être pensant ; formule profondément vraie, mais incomplète, qui, en présentant d’abord la pensée comme l’unique attribut de la personne humaine que la conscience perçoive directement, laisse la philosophie s’égarer ensuite à la recherche des causes, et la conduit trop aisément, et par une pente trop naturelle, à des doctrines mécaniques. Si Descartes avait dit, comme M. de Biran : « Je veux, donc je suis, » par le même coup de génie qui