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qu’il voulût se placer sur un terrain si glissant, au risque de se voir abandonné par un assez grand nombre de conservateurs. Ceux-ci ne lui pardonneraient pas cette brèche à la loi électorale, ils l’accuseraient de sacrifier la chose publique à ses intérêts ministériels, ils lui enlèveraient plus de suffrages qu’il ne pourrait en gagner par la mesure proposée. Le ministère se gardera donc d’aborder la question de la réforme électorale ; il craindra de renouveler la mêlée de la coalition. C’est trop, du reste, s’arrêter sur une supposition qui très probablement n’a pas le moindre fondement.

Nous croyons que la question électorale ne sera mise en avant avec ardeur et insistance par aucun parti. Il serait facile d’en déduire les raisons. Il n’en sera pas de même de la question des incompatibilités. Elle sera reproduite avec d’autant plus d’empressement qu’elle fournira une occasion toute naturelle d’attaquer le ministère. On dit que plusieurs conservateurs se montrent disposés à se réunir sur ce point aux diverses oppositions. Cela est probable : on donne facilement son assentiment à un projet de cette nature, lorsqu’il n’est annoncé que d’une manière générale. Mais ensuite, lorsque le projet est rédigé ; que les détails en sont connus, les hommes qui paraissaient décidés reculent trop souvent devant des obstacles qu’ils n’avaient pas aperçus d’abord. Convenons-en toutefois ; c’est sur ce terrain que le cabinet rencontrera le plus d’adversaires, et des adversaires acharnés ; il est même à craindre que la chambre ne se laisse entraîner au-delà de toute juste mesure.

Si on en croit certains bruits, le ministère se proposerait de détourner l’attention des députés de toutes ces questions brûlantes et si souvent débattues, en la fixant tout d’abord sur des questions nouvelles aussi délicates qu’importantes. C’est là en effet le moyen le plus sûr et le plus convenable qu’il puisse employer. Il y a tant à faire pour la grandeur et la prospérité de la France, et une politique stérile et criarde nous a fait perdre un temps si précieux ! Non-seulement nos intérêts matériels sont en souffrance, mais notre droit public et privé réclame sur plus d’un point des complémens essentiels et d’importantes réformes. On ne peut pas tout faire à la fois ; mais par cela même il faut s’appliquer à choisir parmi les améliorations désirables celles qui sont à la fois plus urgentes et plus utiles au pays. Il est surtout à désirer qu’on fasse marcher de front les intérêts matériels et les intérêts moraux de la nation, qu’on s’occupe à la fois des choses et des hommes, des corps et des ames.

Sans doute ce serait une honte pour la France si elle laissait plus long-temps ses voies de communication et ses possessions coloniales dans l’état où elles se trouvent. Cependant ce serait s’aveugler sur la situation morale du pays que de ne pas reconnaître combien il est urgent de redoubler d’efforts, de faire, s’il le faut, de plus grands sacrifices encore, pour donner au peuple, en particulier aux classes laborieuses, une instruction forte et régulière, cette instruction morale et religieuse qui adoucit les mœurs, qui élève les ames et en développe toutes les tendances généreuses.

Il ne faut pas se lasser de le répéter : la soumission implicite, l’obéissance aveugle n’existe plus. Loin de nous la pensée de la regretter. C’est la plus