Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/687

Cette page a été validée par deux contributeurs.
683
GUERRE ET NÉGOCIATIONS DE HOLLANDE.

favorable ; mais, n’y étant plus soutenue par sa cavalerie dispersée elle y restait immobile.

Le prince de Condé s’était jeté dans un bateau avec son fils, le duc d’Enghien, et son neveu, le duc de Longueville, pendant que la cavalerie traversait le fleuve. Arrivé sur le bord, il s’avança vers les régimens hollandais, pendant que le comte de Guiche les enveloppait par derrière. Il leur cria de mettre bas les armes et qu’on leur ferait quartier. Mais le duc d’Enghien et le duc de Longueville, emportés par le feu de la jeunesse et aussi par les chaleurs non encore dissipées d’un repas de nuit, attaquèrent brusquement les Hollandais, qui firent sur eux une décharge meurtrière. Le duc de Longueville et le marquis de Guitry furent tués, et le prince de Condé lui-même fut blessé au poignet. Malgré sa blessure et la douleur qu’il ressentit en voyant tomber à côté de lui son imprudent neveu, le prince de Condé fondit sur les Hollandais, les battit, les dispersa, leur tua ou prit beaucoup de monde, et ne s’arrêta qu’après avoir nettoyé tout le rivage. La cavalerie française occupa en bon ordre les bords méridionaux du fleuve, que toute l’armée traversa ensuite sur le pont de bateaux[1].

Tel fut ce passage du Rhin qu’on célébra comme un exploit des plus difficiles et des plus glorieux. Mais, s’il était moins héroïque qu’on ne le crut alors[2], il eut toute la valeur d’une grande victoire. Il rompit le plan de défense du prince d’Orange, qui aurait dû se porter à Tolhuys avec toutes ses forces, au lieu de se maintenir derrière l’Yssel, où il aurait toujours eu le temps de se rendre si Louis XIV avait tenté d’en forcer les lignes. Ce jeune général n’ayant pas su ou pas pu empêcher l’armée française de pénétrer sur le territoire de la république, et craignant d’être tourné, abandonna alors la position qu’il occupait, renforça les garnisons de plusieurs places, et alla se poster à Rhenen avec treize mille hommes que joignirent quelques troupes auxiliaires du comte de Monterey, gouverneur des

  1. Lettre de Louis XIV à la reine, du camp de Tolhuys, le 12 juin 1672, dans laquelle il raconte le passage du Rhin. (Œuvres, t. III, p. 195-198.) — Histoire de Turenne, t. I, p. 449-452. — Basnage, Annales des Provinces-Unies, t. II, p. 219-220. — Leclerc, Histoire des provinces-unies des Pays-Bas, t. III, p. 274, col. 2, et p. 275, col. 6 (édition d’Amsterdam, 1728, grand in-fo.)
  2. « Le passage du Rhin est une opération militaire du quatrième ordre, puisque dans cet endroit le fleuve est guéable, appauvri par le Vhaal, et n’étant d’ailleurs défendu que par une poignée d’hommes. » (Mémoires de Napoléon, t. V, p. 129, sur les campagnes de Turenne).