calcul. Lord Palmerston avait donc raison de dire à M. Guizot : « Nous sommes à peu près d’accord. » Quant à notre ambassadeur, il est difficile de découvrir ce qu’il réservait ainsi des droits et des intérêts de la France. Entre le langage que M. Guizot a tenu à Londres et la politique de son ministère, je ne vois pas une différence appréciable. Ambassadeur, il abandonnait le pacha d’Égypte ; ministre, il l’a laissé exécuter. En tout état de cause, réduire la menace de guerre au cas où l’équilibre européen serait troublé, c’était dire qu’on ne ferait pas la guerre ; c’était nous exposer au ridicule en donnant à la faiblesse un faux air d’énergie.
À Paris, les choses ne se passaient pas tout-à-fait de la même manière. M. Thiers laissait constamment entrevoir aux ambassadeurs que la guerre était possible, et il s’y préparait éventuellement. Le gouvernement anglais ne pouvait pas l’ignorer, car les dépêches de lord Granville et de M. Bulwer l’avaient averti jour par jour des dispositions de la France. Quelques extraits de ces dépêches montreront la situation dans son véritable aspect :
« M. Thiers me dit que la nation française tout entière ressentait l’affront qu’elle avait reçu, et qu’aucun ministre en France, quel qu’il fût, ne pourrait faire autrement que de mettre le pays dans une situation qui lui permît de maintenir sa dignité et son influence dans les affaires de l’Europe. (Dépêche de lord Granville, Paris, 3 août.)
« M. Thiers ajouta que, quoique la France ne voulût pas s’opposer à un arrangement que Méhémet-Ali aurait accepté, elle ne souffrirait pas qu’on lui imposât des conditions par la force sans son intervention. (Dépêche de lord Granville, 7 août.)
« M. Thiers me dit que les ordres les plus sévères avaient été donnés aux amiraux français, qui commandaient la station du Levant, de régler les mouvemens de leurs escadres de manière à éviter toute collision avec les forces navales de l’Angleterre, et qu’il espérait que des ordres analogues avaient été donnés aux commandans anglais. » (Dépêche de lord Granville, 10 août.)
« M. Thiers répondit : « Autant feront les autres puissances, autant fera la France, nais nous ne serons certainement pas les premiers à commencer les hostilités. » (Dépêche de M. Bulwer, 21 août.)
« M. Thiers me dit que, si l’on insistait rigoureusement sur l’exécution du traité, sans avoir pris aucun engagement positif à l’égard du pacha, il se croyait engagé jusqu’à un certain point, et qu’il serait difficile, sinon impossible, de former un gouvernement en France qui restât le spectateur passif et désintéressé de l’accomplissement des mesures coercitives. Il en conclut que, sans aucun acte décidé et immédiat d’hostilité, sans une déclaration positive de guerre, il s’ensuivait un état de choses qui devait, avant peu, troubler, la paix du monde. » (Dépêche de M. Bulwer, 18 septembre.)