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DE LA LITTÉRATURE DES OUVRIERS.

folles, parce qu’il juge à propos de se taire, connaissent peu la raison droite, le tact délicat et la judicieuse ironie avec lesquels, au fond de sa solitude et de sa pensée, il se réserve d’apprécier ses contemporains.

Si les esprits les mieux doués n’arrivent que par l’étude à une fécondité heureuse, un travail opiniâtre est plus indispensable encore à la médiocrité. Il arrive que dans la jeunesse on saisit étourdiment une plume, on prend l’effervescence de l’âge, l’ardeur du sang pour une vocation réelle, et, dans les rêves de l’orgueil, la vivacité du tempérament se traduit en supériorité de l’esprit. Un moment arrive où ces illusions, si tenaces qu’elles soient, doivent tomber. Alors, dans cette déchéance que la plus haute présomption ne peut se dissimuler à elle-même, il ne reste plus qu’une ressource, le travail. On peut appliquer à la république des lettres cette parole du Christ, qu’il y a plusieurs places dans la maison de son père. L’écrivain à qui l’expérience a donné la vraie mesure de son talent, peut encore conquérir un rang honorable par des efforts persévérans auxquels il ne risquera plus d’imprimer une direction fausse. Mais ce travail si nécessaire de tous les jours, de tous les instans, comment l’ouvrier s’y livrera-t-il ? Désertera-t-il l’atelier ? Alors comment se procurera-t-il le pain de chaque jour ? S’il prétend concilier l’exercice de son état avec des études littéraires, il éprouvera combien les grandes fatigues du corps nuisent au développement de l’esprit, et aussi combien des préoccupations étrangères portent le trouble dans la vie et l’ouvrage de l’artisan. Il n’y a qu’une situation favorable aux travaux de l’intelligence, c’est cette médiocrité de fortune qui ne tombe jamais jusqu’à la détresse et ne s’élève pas non plus à l’opulence. Un grand seigneur fort riche qui aimait la peinture et s’y livrait en amateur, montra un jour au Poussin un tableau qu’il venait d’achever. Après avoir accordé quelques éloges à l’ouvrage : « Il ne vous manque, monseigneur, ajouta Poussin, pour devenir très habile, qu’un peu de pauvreté. » Cet illustre peintre, qui, quoique gentilhomme, avait senti parfois dans sa jeunesse le besoin aiguillonner son génie, savait que l’art a deux ennemis, le découragement amer qu’inspire l’indigence, et l’apathique mollesse que traînent après elles de trop grandes prospérités.

Et quel temps choisirait-on pour exciter de pauvres ouvriers à hasarder des œuvres informes ! Précisément une époque où tout semble avoir été dit et pensé. Dans leur ignorance, ces écrivains s’imagineront être nouveaux en reproduisant des sentimens mille