taillée en forme de redingote ; en été, une chemise bleue et rouge agraffée de côté au cou, nouée sur les flancs par une légère banderole, et retombant sur le pantalon comme une blouse. Les femmes, qui avaient autrefois un vêtement très original, s’habillent aujourd’hui, à peu de chose près, comme nos paysannes, et n’ont conservé de leurs anciens usages que la coiffure. Les femmes mariées portent sur la tête une petite coiffe en toile noire, les jeunes filles laissent flotter librement en longues tresses leurs cheveux sur leurs épaules. Les hommes sont en général grands, bien faits, et leur longue barbe leur donne une physionomie imposante. Les femmes sont presque toutes laides et disgracieuses. La nature, subjuguée de tant de côtés par les infatigables efforts de Pierre-le-Grand et de ses successeurs, est restée sur ce point intraitable. Il n’y a de jolies femmes à Pétersbourg que dans les salons de la haute société, les autres n’inspireront ni une ode, ni même un pauvre madrigal. Quelle différence avec Stockholm et le nord de la Suède, ce Walhalla de la beauté septentrionale !
Les paysans qu’on rencontre sur la route de Moscou appartiennent presque tous à la couronne ; avec un simulacre de liberté de plus que les serfs des seigneurs, ils sont plus malheureux, car ils ne vivent point sous la dépendance immédiate d’un maître qui, tout en les traitant parfois assez durement, a intérêt cependant à ménager leurs forces et leur bien-être matériel, Ils sont soumis à une bureaucratie hautaine et dure, à une quantité de petits employés qui les pressurent impérieusement et sans pitié. Dans un temps de disette, comme celle qui a désolé la Russie de 1840 à 1842, le seigneur emploie toutes ses ressources à nourrir ses paysans, dont la santé, la vie, sont la meilleure part de son bien. La couronne ne donne aux siens que des secours insuffisans. Elle met pourtant une grande libéralité dans ses dons, mais ces dons n’arrivent point directement aux pauvres familles auxquelles ils sont destinés, ils passent par trois ou quatre hiérarchies de fonctionnaires qui en retiennent chacun une part, et lorsqu’enfin le trésor impérial, qui n’est pas un Pactole inépuisable, se ferme forcément, un commissaire de district, qui s’est enrichi de toutes les aumônes du souverain, accorde comme une dernière faveur aux paysans qu’il régit la permission de mendier. L’été de 1841, on a vu des milliers de ces malheureux errant avec leurs femmes et leurs enfans sur les grands chemins et implorant, avec un visage pâle et des mains décharnées, un morceau de pain noir pour apaiser leur faim. Très peu de paysans des seigneurs ont été réduits à cette extrémité. Quand j’allai à Moscou, la disette durait encore ; à chaque station, des troupes de vieillards affaiblis par l’âge et le besoin, des femmes vêtues de misérables haillons, des enfans aux membres chétifs, au teint cadavéreux, se pressaient autour de notre voiture, se courbaient à nos pieds en nous appelant d’une voix gémissante : bons seigneurs et beaux soleils, pour obtenir, par ces supplications orientales, une aumône de quelques copecks. Grace à Dieu, cette époque de calamité touchait à sa fin ; nous vîmes les champs d’orge et de blé dorés par le soleil. Au midi et au nord de l’empire, tout se montrait sous d’heureux aus-