Moscovite et quelques-uns de ses amis. Je n’avais rien à leur apprendre, ni sur notre littérature actuelle ni sur nos principaux écrivains : ils connaissaient nos productions les plus récentes et les jugeaient avec une rare délicatesse ; et moi, que de questions j’avais à leur faire, que de renseignemens à leur demander ! Je me rappelle surtout une heureuse soirée où nous nous trouvâmes réunis à la campagne, dans la maison d’un jeune romancier. Au milieu d’une verte pelouse, sous les rameaux des tilleuls en fleurs, les poètes russes me racontaient tour à tour leurs études, leurs travaux, leurs pensées. On eût dit une églogue antique transportée sous le ciel de Moscou. L’un d’eux, M. Kamékoff, nous lut ces vers, qu’il voulut bien ensuite me transcrire. C’était une chose curieuse pour moi d’entendre ainsi parler de Napoléon à quelques lieues de la ville qu’on avait incendiée devant lui, et d’écouter au sein de la Russie ce dithyrambe adressé à l’Angleterre, au moment où les vaisseaux anglais allaient envahir les rives d’un nouvel empire.
« Ce n’est pas la force des peuples qui t’a élevé, ce n’est pas une volonté étrangère qui t’a couronné. Tu as régné, combattu, remporté des victoires, tu as foulé la terre de ton pied de fer, tu as posé sur ta tête le diadème formé de tes mains, tu as sacré ton front par ta propre puissance.
« Ce n’est point la force des peuples qui t’a terrassé, on n’a pas vu paraître un rival égal à toi ; mais celui qui a mis une borne à l’Océan, celui-là a brisé ton glaive dans le combat, fondu ta couronne dans un saint incendie, et recouvert de neige tes légions.
« Elle s’est éclipsée, l’étoile des cieux obscurcis. La grandeur humaine est tombée dans la poussière. Dites-moi, un nouveau matin ne brille-t-il pas à l’horizon ? Une nouvelle moisson ne renaîtra-t-elle pas de cette cendre ? Répondez ; le monde attend avec effroi et avidité une pensée et une parole puissante. »
« Île pompeuse, île de merveilles, tu es l’ornement de l’univers, la plus belle émeraude dans le diadème des mers !
« Redoutable gardien de la liberté, destructeur de toute force ennemie, l’Océan répand autour de toi l’immensité de ses ondes !
« Il est sans fond, il est sans bornes, il est ennemi de la terre ; mais humble et soumis, il te regarde avec amour.
« Patrie de la sainte liberté, terre fortunée et bénie ! quelle vie dans tes innombrables populations ! quel éclat dans tes riches campagnes !
« Comme elle est éclatante sur ton front, la couronne de la science ! Comme ils sont nobles et sonores, les chants que tu as fait entendre à l’univers !