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le côté pittoresque des objets. On rêva d’appliquer au style les procédés de Rubens et de Murillo. L’abus de l’épithète morale, qui avait perdu l’école de l’empire, fut remplacé par l’abus plus grand encore de l’épithète matérielle. Il ne fut plus permis au ciel que d’être bleu, à la mer que d’être verte ; les flots paisibles et le ciel souriant appartenaient à une langue proscrite. Je ne conçois pas un homme qui veut écrire après n’avoir médité que sur des livres ; on court risque de ne pas arriver à la complète rectitude du langage sans l’intelligence des principes du dessin, et le poète qui n’a pas le sentiment du coloris, si grand puisse-t-il être, ne sera jamais que le dieu d’un monde sans soleil. Mais il faut prendre garde pourtant aux envahissemens de la peinture dans le style. L’écrivain qui ne prend ses couleurs que dans la palette du peintre finit par donner à sa pensée une enveloppe lourde et opaque, sous laquelle elle ne rayonne plus. Il n’atteint jamais au mérite de saisissante réalité que présente un tableau, et il perd le bénéfice du suprême idéal qui est réservé à la poésie.

Le style, qui est la matière dont sont faites les œuvres d’esprit, doit être au-dessus du marbre et des couleurs. On se souvient de ce métal de Corinthe qui était composé d’airain, d’argent et d’or. Le style aussi est dû à un mélange. Il se compose en unissant aux élémens terrestres des élémens ravis aux seules régions de l’intelligence. Gaspard de la Nuit a le tort d’être une suite de tableaux exécutés sans pinceau et sans crayon, avec les procédés uniquement réservés au crayon et au pinceau.

Après ces réserves, qu’il nous soit permis de dire tout le bien que nous pensons du livre de Louis Bertrand. Ce n’est point seulement, comme il le déclare lui-même dans sa préface, ce n’est point seulement Rembrandt et Callot qu’il a aimés et imités. Si puissante, si originale soit-elle, l’inspiration de Callot et de Rembrandt, à laquelle tant d’esprits se sont allumés déjà dans les lettres comme dans la peinture, ne suffirait pas à donner à Gaspard de la Nuit la physionomie insolite par laquelle il nous séduit dès les premières pages. On trouve dans cette œuvre des traces d’adorations moins connues et toutes particulières à la nature qui les a ressenties. Louis Bertrand n’était pas un de ces hommes qui, dans une galerie de tableaux, vont faire les stations prescrites devant les toiles désignées d’avance par l’opinion publique à l’admiration ; c’était un de ces fantasques promeneurs dont l’ame et les yeux s’arrêtent où est le charme qui les attire, qui s’attardent tellement dans une église de Peeter-Neef ou dans quelque chemin creux de Wynants, qu’il ne leur reste plus de temps pour contempler le Titien ou le Raphaël qu’ils étaient venus visiter. Le nom de Breughel de Velours est un de ceux que Louis Bertrand a écrits dans une préface où il rend hommage à ses maîtres. Breughel fut un des peintres les plus bizarres de cette école flamande, où sont écloses tant de merveilleuses fantaisies. On se souvient de cet artiste d’Hoffmann, qui veut peindre les plantes et les arbres avec le langage qu’ils vous tiennent et le regard qu’ils attachent sur vous. Breughel rappelle ce personnage du conteur