« Nous ne voulons pas l’avoir, le joug maudit de Dieu ; nous ne voulons pas l’avoir, le knout ensanglanté du Russe ; nous ne voulons pas les avoir, ces rois déclamateurs qui démentent aujourd’hui ce qu’ils avaient promis hier.
« Nous ne voulons pas les avoir, ces régens du droit divin qui prennent le bon Dieu pour leur contrôleur ; nous ne voulons pas les avoir, ces rois poètes qui bâtissent des glyptothèques et foulent aux pieds la liberté de la presse.
« Nous ne voulons pas les avoir, ces despotes venus de l’Angleterre. Que chaque peuple garde sa richesse et sa honte. Nous ne voulons pas les avoir, ces princes qui nous écrasent ; que le diable les emporte, et nous prierons pour eux. »
Évidemment l’Allemagne est en proie à une agitation morale et littéraire à laquelle elle n’entrevoit encore point de terme. Exaltée par son orgueil, et pénétrée cependant du sentiment de sa misère, elle cherche les hommes de génie qui lui ont donné aux yeux du monde une auréole de gloire et ne les trouve plus. Chaque fois qu’un nouvel écrivain apparaît dans ses steppes frappées de stérilité, elle crie au miracle, et annonce, à grand renfort d’éloges emphatiques et de fanfares, l’aurore d’une nouvelle ère ; elle tresse une couronne et se hâte de la poser, tout humide encore de la rosée du jour, sur le front de celui qu’elle proclame son Messie ; mais le lendemain, cette couronne tombe feuille à feuille. Alors l’Allemagne, fatiguée de ses inutiles efforts pour produire une œuvre originale, et pressée en même temps par son incessant besoin d’écrire, d’entasser feuille sur feuille, livre sur livre, se retourne vers l’Angleterre et la France ; elle compulse, imite, traduit avec une ardeur fiévreuse tout ce que nous produisons, tout, depuis nos dissertations scientifiques les plus sérieuses jusqu’à nos plus légers feuilletons. La traduction lui a été donnée par la Providence miséricordieuse pour la soutenir dans sa faiblesse et l’abreuver dans son indigence. Tout ce qui vient de nous, elle le demande avec avidité et le reçoit avec colère. Pour conserver à notre égard un air de supériorité, en même temps qu’elle reçoit d’une main nos livres, élaborés dans l’atelier de ses traducteurs, elle nous montre de l’autre une férule magistrale et nous injurie. Je comprends l’amertume de cette situation. Il est triste d’avoir été riche et de ne l’être plus, d’avoir prêté aux autres et de se voir réduit à vivre d’emprunts ; mais l’Allemagne, qui est si sage, devrait penser dans sa sagesse que l’injustice ne relève point celui qui la commet, et que l’injure n’a jamais été considérée comme l’expression du génie.
C’est assez guerroyer cependant contre les défauts actuels d’un pays que nous voudrions pouvoir louer sans réserve. Essayons de retracer quelques-uns de ses titres littéraires. Voici venir, sous le titre d’Atta Troll, un nouveau poème de M. Henri Heine. À en juger par ce que nous en connaissons, ce doit être une œuvre humoristique, spirituelle, digne de l’auteur des Reisebilder. Déjà l’Allemagne en lit avec avidité les premiers chants. En attendant que ce poème ait été entièrement publié, et que nous puissions l’apprécier dans son ensemble, la disette de livres nouveaux nous oblige à retourner vers le passé. Tieck a fait paraître son recueil de poésies, et Tieck est le représen-