qui ne seront pas tenues ; on s’expose à les voir continuer l’utopie dans le sens de la passion et venger leurs mécomptes par des tentatives de bouleversement. Si l’ouvrier ne veut pas devenir le jouet d’une déception amère, il faut qu’il se méfie de ses flatteurs. Son rôle ici-bas n’est celui ni d’un héros de roman, ni d’un poète ; il remplit des fonctions plus utiles et des devoirs plus réels. Pour roman, il a les soucis de la famille ; pour poésie, il a le travail. Il y a plus d’honneur pour lui, plus de profit pour le pays dans l’accomplissement d’une tâche manuelle que dans des aspirations inquiètes vers les œuvres de l’esprit et la vie de l’intelligence. Le chapitre des vocations manquées est déjà long dans la carrière des lettres : que les ouvriers se gardent d’y ajouter une douloureuse page de plus. On ne peut pas servir deux maîtres, et les devoirs modestes de l’homme qui vit de ses bras sont incompatibles avec les ravages de l’orgueil littéraire.
Dans le domaine de la politique, l’ouvrier devrait également rompre avec les conseils qui l’entraînent à des prétentions excessives. Sans doute, les classes laborieuses comptent pour beaucoup dans l’ensemble de la population ; on ne saurait, sans aveuglement, méconnaître l’influence et les droits du nombre. Ce serait en outre un triste gage de tranquillité que celui qui reposerait sur l’abdication complète des masses et sur l’abrutissement qui résulte des soucis et des plaisirs grossiers de l’existence matérielle. En France, ce rôle ne fut jamais celui des classes laborieuses. Qui plus vivement qu’elles s’intéressa à l’odyssée militaire de l’empire, aux rancunes contre l’invasion, au mouvement de juillet 1830 ? Où les bulletins de la grande armée trouvèrent-ils plus de lecteurs enthousiastes, et la victoire des trois jours plus d’énergiques coopérateurs ? À toutes les époques, il en fut ainsi : toujours le peuple, dans notre patrie, se mêla à la vie publique ; c’est là un de ses titres comme une de ses traditions. Mais il ne s’ensuit pas que tout ouvrier doive rédiger son plan de constitution et se retirer sur le mont Aventin, si on ne l’exécute pas à la lettre. Les destinées de la France ne peuvent pas être à la merci des systèmes politiques et sociaux issus des fumées du cabaret. L’avenir des ouvriers comme celui des maîtres, des pauvres comme des riches, est renfermé dans l’idée du devoir, d’où découlent des habitudes d’ordre et de discipline. Hors de là, on s’agite dans un cercle d’illusions, on court après des fantômes.
Les rêveries de ce genre sont devenues si contagieuses, si générales de notre temps, qu’elles ont mérité les honneurs d’un nom nouveau et désormais consacré : c’est celui de socialisme, en d’autres