l’accompagnement obligé de ce travail, et en ont composé, pour ainsi dire, la mise en scène. Il fallait frapper, émouvoir, et, comme l’intention semblait justifier les moyens, on a évidemment forcé la preuve et grossi l’effet. De longs cris d’alarme ont été poussés de vingt côtés ; on a dressé des tables effrayantes de la misère et de la dépravation publique ; on est allé fouiller dans toutes les sentines, afin d’arranger, par groupes symétriques, les crimes, les vices, les douleurs, et de présenter ensuite à la société cet effrayant et hyperbolique inventaire. La statistique sociale ne procède pas autrement : c’est une science d’étalage. On dirait qu’elle veut emprunter quelque chose à la tactique de ces mendians qui empirent l’état de leurs plaies pour mieux exciter la pitié de la foule.
Si l’on voulait chercher, dans des publications récentes, des exemples de ces écarts, le choix seul serait embarrassant. L’un de ces statisticiens, qu’une mort précoce a naguère enlevé, s’était fait un titre spécial de la description des misères de la société anglaise ; il avait poussé ce travail jusqu’aux derniers confins de l’hyperbole. De la ville de Londres, il n’avait vu que les cloaques, et, en copiant les enquêtes du parlement, il s’était attaché à en reproduire la partie la plus sombre. On sait aujourd’hui que beaucoup de misères, ainsi décrites, n’ont existé que dans l’imagination de l’auteur ou dans celle des hommes qu’il a consultés. Il y a, de l’autre côté du détroit, une école de statisticiens coloristes qui a devancé et inspiré la nôtre ; c’est elle qui, dans le parlement et hors du parlement, dessert les enquêtes rembrunies et fournit les calculs alarmans. Ordinairement le parti religieux y joue un grand rôle et y apporte un fanatisme qui trouble nécessairement le regard. En France, les imitateurs ajoutent à cela l’ardeur naturelle de notre caractère, et le désir de faire leur chemin par des descriptions originales et dramatiques. Ainsi s’engendrent et se multiplient les erreurs.
Quand la statistique française opère sur le terrain national, elle est sujette à d’autres illusions. Jamais on ne vit aligner des calculs avec cette candeur, et les interpréter avec cette naïveté. Ainsi, sur quelques renseignemens puisés à la préfecture de police, un auteur a dernièrement appris aux honnêtes gens de la capitale qu’ils doivent se défier de soixante-trois mille individus, vicieux ou criminels, vivant à leurs côtés. Soixante-trois mille ! pas un de plus ni de moins, c’est-à-dire une personne sur quinze. Certes, il y a de quoi donner à réfléchir à ceux qui habitent une ville où tant de corruption fermente. L’auteur assure pourtant qu’il est discret, et qu’avec moins de ré-