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un cadre étroit et sur une échelle réduite, Genève voyait s’agiter dans son sein toutes les questions qui passionnaient les gouvernemens constitutionnels de l’Europe. M. Rossi se mêla à ces discussions ; il y apporta sa rectitude d’idées et cette application soutenue dont il a fourni tant de preuves. Avec MM. Bellot et Girod, il concourut à la réforme du système hypothécaire ; avec MM. Dumont et Rigaud, il poursuivit diverses améliorations judiciaires, et surtout le rétablissement du jury. En 1815, Genève, tout en conservant les codes français, avait cédé à l’esprit de réaction sur quelques points essentiels, entre autres sur le jury, qui avait été supprimé. Cette institution, il est vrai, n’est pas sans inconvéniens au sein d’un petit état, et exige, dans la pratique, des combinaisons ingénieuses. Il s’agissait de vaincre ces difficultés, de combattre une foule de préventions et de triompher d’opiniâtres résistances. C’est ce que M. Rossi essaya de faire dans un rapport étendu adressé au conseil d’état, et qui ébranla fortement les opinions. Sans les vicissitudes politiques, il est à croire que le plan exposé dans ce document aurait reçu une application immédiate. Ce ne fut néanmoins que plus tard et sur de nouveaux efforts de M. Rigaud-Constant, esprit ferme et judicieux, que s’opéra ce changement dans la juridiction criminelle.

Ces travaux législatifs mettaient peu à peu M. Rossi sur la voie d’un ouvrage qui devait fonder sa réputation et lui assurer un rang élevé parmi les criminalistes de ce siècle. Depuis long-temps les questions de l’ordre pénal lui étaient familières ; il les avait étudiées plutôt avec sa conscience qu’avec des livres. Sans être tourmenté du désir de produire du nouveau et d’imaginer un système, il n’avait pu s’empêcher de reconnaître que la réaction provoquée par Bentham franchissait peu à peu ses justes limites et aboutissait à une sorte d’égoïsme social où se perdait toute initiative morale. C’était moins de la philanthropie qu’une obéissance à la fatalité. Au lieu d’accepter sans contrôle des idées qui exerçaient alors un très grand empire, M. Rossi entreprit de les discuter, et dans le cours de 1828, il vint à Paris où il publia, en trois volumes, son Traité du droit pénal.

Le droit pénal s’était développé en Europe sous l’influence exclusive de l’une ou de l’autre des deux grandes écoles philosophiques qui se partagent le monde savant, l’école spiritualiste et l’école sensualiste. Vers la fin du XVIIIe siècle, l’école sensualiste avait pris le dessus, et tous les criminalistes de quelque valeur s’étaient rangés sous sa bannière. Sous des noms divers, on ne donnait plus à la justice sociale non-seulement d’autre mesure, mais d’autre principe que l’intérêt. Elle