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HISTOIRE DE L’ÉCOLE D’ALEXANDRIE.

Dieu ou l’absolu d’une manière positive. Selon nous, c’est infiniment trop accorder à Plotin ; c’est perdre tout le terrain qu’on vient de gagner, et du mysticisme vaincu incliner à une extrémité non moins dangereuse.

M. Jules Simon, en historien philosophe, juge l’école d’Alexandrie au nom d’un système. À la théorie de Plotin sur la raison il oppose la sienne. Signalons au moins le caractère et les conséquences de cette théorie. Elle est contenue dans ces deux principes fondamentaux : l’idée de l’absolu ou de l’infini est le dernier fonds de la raison ; nous ne pouvons avoir toutefois de la nature de l’absolu aucune connaissance positive. Par le premier de ces principes, et en général par sa manière d’entendre l’absolu, M. Jules Simon se rattache à la nouvelle philosophie allemande, celle de Schelling et de Hegel ; par le second, il se rapproche plutôt de Kant et de l’esprit général de la philosophie critique, laquelle dans le fond ne conteste pas la notion, ni même l’existence de l’absolu, mais seulement la possibilité de le connaître, d’en faire la science. Cette combinaison du kantisme et d’une sorte d’hégélianisme n’est assurément pas sans puissance. Elle a déjà séduit un éminent philosophe de l’Écosse, un savant et profond critique, M. Hamilton, dont les vues métaphysiques ont reçu une force nouvelle en s’associant à celles du ferme esprit, du vigoureux écrivain qui s’est fait en France son interprète[1].

M. Hamilton et M. Jules Simon pensent donc que l’absolu ne peut être l’objet d’une connaissance positive. Nous concevons fort bien que l’on soutienne avec Kant cette thèse ; mais nous demandons en même temps qu’on en reconnaisse la nécessaire conséquence, savoir : que l’idée de l’absolu n’existe véritablement pas. M. Hamilton a parfaitement vu cette conséquence, et s’y est résigné. M. Jules Simon a préféré, comme Kant, se contredire. Il a mieux aimé être inconséquent que d’être sceptique. Dans tout son livre, nous trouvons en lui un partisan déclaré et éloquent du dogme de la divine Providence. Or, je le demande, comment conciliera-t-on ce dogme sublime avec l’impossibilité absolue où l’on prétend qu’est la raison d’avoir de Dieu aucune connaissance positive ? Croire à la Providence, c’est apparemment croire que Dieu est l’intelligence parfaite, la parfaite justice et la parfaite sainteté. Sont-ce là des affirmations positives, ou soutiendra-t-on encore que ce sont des métaphores et de vains mots ? Dire que Dieu pense, qu’il est juste, qu’il est saint, est-ce ne rien dire de positif et

  1. Voyez la préface de M. Louis Peisse aux Fragmens de Hamilton.