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les études philologiques lui devenant presque impossibles, la douleur et la solitude lui inspirèrent un redoublement de révolte et de plainte ; sa poésie en prit un plus haut essor, et son malheur, comme à tant d’autres, fit sa gloire. Il faudrait analyser chacune des canzones nouvelles de ce volume, car chacune a son caractère et ses beautés. Pour les noces de sa sœur Paolina, il compose un épithalame héroïque qui semble destiné à Cornélie : « Tu auras des fils ou malheureux ou lâches : préfère-les malheureux ! » — En adressant une sorte de chant pindarique à un jeune homme vainqueur au ballon (ces sortes de jeux et de victoires ont beaucoup de solennité en Italie), il passe vite de la félicitation triomphante à un retour douloureux : l’antique palestre était une école de gloire ; on courait de l’Alphée et des champs d’Élide à Marathon ; mais ici, qu’est-ce ? L’éphèbe, vainqueur des jeux, survit à la patrie ; il a sa couronne, et elle n’en a plus : « La saison est passée ; personne, aujourd’hui, ne s’honore d’une telle mère. Mais pour toi-même, ô jeune homme ! élève là-haut ta pensée. À quoi notre vie est-elle bonne, sinon à la mépriser ? » — Le chant au printemps, où il redemande à la nature renaissante l’âge d’or des fables antiques, développe une pensée que nous avons déjà entendu exprimer au poète au sujet de la découverte de Colomb ; il se reprend d’un regret passionné à ces douces illusions évanouies, irréparables :

« Hélas ! hélas ! puisque les chambres d’Olympe sont vides et que l’aveugle tonnerre, en errant aux flancs des noires nuées et des montagnes, lance à la fois l’épouvante au sein de l’innocent et du coupable, puisque le sol natal, devenu étranger à sa race, ne nourrit que des ames contristées, c’est à toi d’accueillir les plaintes amères et les indignes destinées des mortels, ô belle nature, à toi de rendre à mon esprit l’antique étincelle, si toutefois tu vis, et s’il existe telle chose dans le ciel, si telle chose sur la terre féconde ou au sein des mers, qui soit, oh ! non pas compatissante à nos peines, mais au moins spectatrice !

Pietosa no, ma spettatrice almeno ! »

Le dernier Chant de Sapho, tout vibrant d’une sauvage âpreté et tout chargé des plus sombres couleurs de l’Érèbe, peut sembler, sous ce masque antique, un cri presque direct de l’ame du poète, à l’une de ces heures où, lui aussi, il fut tenté de lancer sa coupe au ciel et de rejeter l’injure de la vie :

......Lucemque perosi
Projecere animas
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