pent jamais qu’à demi. Pauvre femme ! il lui faut cacher ses démarches, gagner les domestiques, épier, attendre, mentir, passer par les anxiétés et les lâchetés d’une vie de ruses et d’embûches. Cette situation fait grande pitié. Les ombrages de Middleton augmentent ; cet homme tout d’une pièce raisonne le caractère de sa femme au lieu de la deviner par l’instinct et la sympathie. Il se tait, il observe, et toutes les preuves s’accumulent contre la jeune femme ; qui ne la croirait coupable ? elle pleure en secret ; sa santé s’affaiblit ; elle voit souvent Lovell, le reçoit seul, mystérieusement, en l’absence de son mari ; enfin une enveloppe contenant plusieurs billets écrits par elle à Henri est adressée à Middleton lui-même. Alice, avertie par mistriss Tracy, les a tirés d’un secrétaire brisé par elle. Ces billets, de deux ou trois lignes, respirent la terreur et l’agitation les plus vives ; ils demandent grace, ils appellent Lovell ; pour qui n’est pas instruit des évènemens, ces lettres ne laissent pas de doute. Middleton suit la ligne de conduite d’un digne gentleman, pour qui le scandale est pire que la mort, et s’éloignant sans bruit, défend à Ellen, par une lettre calme et sévère, de jamais revoir Lovell. Ellen, au désespoir, ferme sa porte à toutes les visites ; après quinze jours de fureurs désespérées et d’inutiles recherches, Lovell brise la consigne ; il se trouve aux genoux d’Ellen, quand Middleton reparaît. On a enfreint ses ordres, il est inexorable ; Ellen est chassée de sa maison par un billet laconique qui ne veut pas de réponse.
L’agonie de la jeune femme depuis ce moment arrache des larmes ; mille petits traits sont d’un pathétique achevé, et l’ensemble du récit porte un caractère de simplicité profonde qui rappelle Madame de La Pommeraye, ce chef-d’œuvre de Diderot, ou Manon Lescaut, cet autre chef-d’œuvre. « Je ne m’évanouis pas, dit-elle, je ne versai pas une larme ; un poids terrible accablait mes membres et arrêtait ma respiration ; la source des larmes était tarie, mon ame gémissait seule ; je n’attendais rien, je n’espérais rien. Je n’osais pas marcher. Mes yeux s’arrêtaient sur ces mots : Quittez ma maison pour toujours, je ne vous reverrai plus. Faire un pas, c’était partir ! — Partir ! cela ne pouvait être. Je tombai à genoux et j’essayai de prier… Puis je me relevai, je passai la main sur mes cheveux. J’avais perdu mes gants, j’ouvris un tiroir pour en chercher d’autres ; je n’en trouvai qu’une paire qu’Édouard m’avait dit de quitter parce qu’il n’en aimait pas la couleur. Ce que sa lettre n’avait point fait, ce que n’avaient pu faire les horribles souffrances du dernier jour, cette misérable circonstance en vint à bout. Je pleurai amèrement, et le poids qui oppressait mon cerveau dimi-