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Louis XV viendra cueillir dans mon domaine, c’est une chasse qu’il veut y faire ! » Voilà Bouret se voyant à cheval auprès du roi, et galopant déjà au son du cor, aux aboiemens des chiens, au cri des piqueurs, tout comme s’il s’appelait Condé. Il rêvait déjà les hallali de Chantilly. Ce qui ne fut pas un rêve, c’est l’argent qu’il dépensa pour se monter des équipages de chasse, cent mille écus au moins. Et cependant il avait englouti des sommes énormes dans l’achat des terrains sur lesquels son château s’était élevé. Les ruines de ce beau château subsistent encore à l’endroit que nous avons indiqué : un pavillon est resté debout pour attester l’honnête orgueil de ce financier au grand cœur. Toutes construites en marbre et en pierre de taille, les caves de ce magnifique domaine, qu’on pila pendant la révolution, ont résisté à la pioche ; il aurait fallu employer la mine. Ces caves sont immenses ; elles se perdent sous les terres qui les ont envahies et couvertes. Des chênes ont cloué leurs racines dans ces pierres éternelles. Nous dirons, après avoir terminé l’étrange histoire de cette fortune bue par le limon du XVIIIe siècle, la légende qu’ont fait naître ces caves prodigieuses.

De distance en distance, dans les bois que Bouret acquit autour de son domaine, on aperçoit encore au-dessus des hautes herbes des bornes milliaires, placées là afin d’indiquer les mesures parcourues par ses équipages particuliers. Cette ligne de bornes s’étendait depuis Paris jusqu’à son château de Croix-Fontaine. La route qu’il fit ouvrir au milieu du bois, et que devait prendre Louis XV, se voit encore aux endroits où les herbes sont plus rares et quand le vent les couche. On dirait une voie romaine : la révolution a déjà fait des antiquités parmi nous. En voyant ces jeunes ruines, ce vieux passé de soixante ans à peine, on est saisi de cette affreuse mélancolie qu’on éprouve à l’aspect des monumens indiens inachevés et par terre, pourris et neufs, à demi enfouis dans les jungles et étincelans de couleur. Le néant, dans sa faim, les a dévorés avant d’être mûrs.

— Puisque je ne puis plus douter maintenant de la visite du roi, se dit Bouret, puisqu’il est sûr qu’il daignera passer une journée entière chez moi, dans mon palais de Croix-Fontaine, il y va de mon honneur de lui prouver sous toutes les formes, de toutes les manières, le respect, l’amour, l’enthousiasme dont je suis pénétré pour sa royale personne. L’histoire parlera de cette visite. Les siècles à venir citeront un instant mon nom à côté de celui de Louis XV. Travaillons donc en vue de cette considération ; grandissons-nous, par un effort personnel, jusqu’à la hauteur de l’histoire.