telles persécutions, quelle que puisse être ou l’exagération des détails ou l’exaltation des victimes, sont la conséquence à peu près inévitable du système suivi en Pologne et hautement avoué par le gouvernement russe ? La réunion par la force des Grecs-unis à l’église orthodoxe russe est une œuvre qui se poursuit depuis plusieurs années avec d’autant plus de persévérance, qu’on regarde cette réunion comme un acheminement vers la destruction du rite latin et de la foi catholique, ame véritable de la nationalité polonaise. L’apostasie largement rétribuée de plusieurs évêques et d’une assez grande quantité d’ecclésiastiques du rite grec-uni est un fait qui n’a jamais été contesté. Comment dès-lors s’étonner de la violence d’agens subalternes appuyés sur un gouvernement militaire, et qui ont à triompher, chez leurs anciens coreligionnaires, de croyances sacrifiées par eux-mêmes à des cupidités grossières ? D’ailleurs, les faits relatifs à l’abbesse de Minsk et à ses malheureuses compagnes sont connus de l’Europe entière depuis six mois ; ils ont été publiés en France et en Allemagne, sans provoquer autre chose qu’une vague dénégation du Journal de Francfort. Les feuilles de Paris qui se trouvent vis-à-vis du cabinet impérial dans une situation analogue à celle de ce journal ne sont pas, jusqu’à présent, sorties de leur silence serai officiel, et n’ont pas encore été autorisées à répondre à cette demande d’enquête que tous les organes de la presse indépendante ont adressée à l’empereur Nicolas, dans l’intérêt de son honneur autant que dans celui de la vérité. Démentir solennellement, et par voie d’enquête, des faits qui ont eu tant de complices et tant de témoins, ce n’est pas, en effet, une œuvre facile, surtout lorsqu’un témoignage aussi éclatant d’improbation aurait pour résultat d’enlever à l’autorité autocratique le caractère d’infaillibilité qu’elle prétend revêtir aux yeux des peuples, et de ruiner un vaste système qui ne peut triompher que par la force et la persévérance. Envoyer l’évêque Siemasko en Sibérie, frapper l’un des hommes dont l’apostasie a été si long-temps présentée comme un grand exemple de patriotisme et de soumission à l’empereur, ce serait perdre tout le bénéfice de la politique qui a peuplé les mines et les déserts de l’empire de tant de victimes. Une telle déférence pour l’opinion du dehors serait directement contraire au but que, depuis dix ans surtout, l’empereur s’efforce d’atteindre. Ce but évident consiste à retrancher la Russie de la communion intellectuelle de l’Europe, à la faire vivre d’une vie propre, en dehors de toutes les conditions de la civilisation occidentale. Fonder une vaste unité religieuse et militaire, concentrer aux mains d’un roi-pontife toutes les forces morales et matérielles de plus de quarante millions d’hommes, jeter un fier défi au mouvement européen, qui tend de plus en plus à séparer l’autorité religieuse de l’autorité politique et à étendre l’importance de l’individu aux dépens de l’omnipotence de l’état, tel est l’objet qu’on : se propose et qu’on poursuit à travers une route baignée de larmes et de sang. Le génie des Ivans a triomphé de celui des derniers Romanows ; Alexandre n’est plus, comme il l’avait si tristement prédit, qu’un accident heureux, et, loin de vouloir se confondre avec l’Europe, la
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