Formules d'Ehrenfest
En chimie physique, et plus particulièrement en thermodynamique, les formules d'Ehrenfest donnent l'évolution de la pression de transition de phase d'un corps pur en fonction de la température. Elles portent le nom de Paul Ehrenfest.
Ces formules ne sont valables que pour une transition de phase d'ordre 2 selon la classification d'Ehrenfest des transitions de phase, c'est-à-dire, selon la classification actuelle, pour une transition de phase n'impliquant pas une enthalpie de changement d'état. Si tel n'est pas le cas, la transition est d'ordre 1 et il faut se rapporter à la formule de Clapeyron.
Énoncé
[modifier | modifier le code]Formules d'Ehrenfest
[modifier | modifier le code]À température donnée, une transition de phase d'un corps pur d'une phase notée à une autre notée s'effectue à pression constante , ce que l'on représente sur un diagramme de phase. Pour une transition de phase d'ordre 2 selon la classification d'Ehrenfest des transitions de phase, la pression de transition de phase varie en fonction de la température selon les formules d'Ehrenfest[1],[2],[3] :
Formules d'Ehrenfest :
|
avec :
- la température de transition de phase (en kelvins, K) ;
- la pression de transition de phase à la température (en pascals, Pa) ;
- le volume molaire commun aux deux phases à l'équilibre à la température et sous la pression (en mètres cubes par mole, m3/mol) ; voir le paragraphe Classification d'Ehrenfest, transition d'ordre 2 : dans une transition d'ordre 2 le corps pur ne change pas de volume, contrairement à une transition d'ordre 1 comme la vaporisation par exemple ;
- et les coefficients de dilatation isobare du corps pur respectivement dans les phases et à la température et sous la pression (par kelvin, K−1) ; ;
- et les coefficients de compressibilité isotherme du corps pur respectivement dans les phases et à la température et sous la pression (par pascal, Pa−1) ; ;
- et les capacités thermiques isobares molaires du corps pur respectivement dans les phases et à la température et sous la pression (en joules par kelvin mole, J K−1 mol−1) ; .
Note 1 - Transitions de phase d'ordre 1.
- Ces formules ne sont valables que dans le cas d'une transition de phase d'ordre 2 selon la classification d'Ehrenfest des transitions de phase. Pour les transitions de phase d'ordre 1 (changements d'état), voir la formule de Clapeyron.
Note 2 - Limite de la classification d'Ehrenfest, les transitions λ.
- La classification d'Ehrenfest ne prévoit pas le cas des transitions λ (lambda) dans lesquelles la capacité thermique isobare de l'une des deux phases diverge et devient infinie, raison pour laquelle cette classification a été abandonnée.
Relation d'Ehrenfest
[modifier | modifier le code]Les deux formules donnent la relation d'Ehrenfest[4],[5] :
Classification d'Ehrenfest, transition d'ordre 2
[modifier | modifier le code]La classification d'Ehrenfest repose sur le principe suivant[1],[2],[3] :
« Une transition de phase est d'ordre n si la fonction enthalpie libre et ses dérivées jusqu'à l'ordre n-1 sont continues, tandis qu'une de ses dérivées d'ordre n au moins est discontinue. »
Pour une transition d'ordre 2, la dérivée d'ordre 0 de l'enthalpie libre est continue lors de la transition de phase. Autrement dit, l'enthalpie libre est invariante lors de la transition de phase à pression et température constantes. Ainsi, dans les conditions d'équilibre (mêmes pression et température), l'enthalpie libre d'une quantité de corps pur dans la phase est égale à l'enthalpie libre de cette même quantité de corps pur dans la phase [2] :
Étant donné l'identité de l'enthalpie libre molaire d'un corps pur et de son potentiel chimique, ceci implique que[2] :
De même, pour cette même transition d'ordre 2, les dérivées partielles d'ordre 1 de l'enthalpie libre[2] :
sont continues :
avec :
- et les volumes de la quantité du corps pur respectivement dans les phases et , à la température et sous la pression ;
- et les entropies de la quantité du corps pur respectivement dans les phases et , à la température et sous la pression .
On a donc, en termes de volume molaire et d'entropie molaire :
Ceci implique d'une part que dans une transition de phase d'ordre 2 il n'y a pas d'enthalpie de changement d'état :
et d'autre part que la formule de Clapeyron, valable pour les transitions d'ordre 1 :
n'est pas applicable aux transitions d'ordre 2, puisqu'elle mène à une indétermination de la forme 0/0.
Dans une transition de phase d'ordre 2 (par exemple la transition conducteur-supraconducteur) le corps pur ne change pas de volume, contrairement à une transition de phase d'ordre 1 (par exemple dans la vaporisation d'un liquide le volume résultant de gaz est supérieur au volume initial de liquide). De plus, puisque l'entropie est invariante, il n'y a pas d'entropie de changement d'état et donc pas d'enthalpie de changement d'état dans une transition de phase d'ordre 2, contrairement aussi à une transition de phase d'ordre 1 (la vaporisation d'un liquide nécessite l'apport de chaleur). Contrairement à une transition d'ordre 1 dans laquelle le corps pur passe par une série d'états intermédiaires où les deux phases coexistent (dans une vaporisation le liquide et la vapeur coexistent depuis l'état de liquide seul jusqu'à l'état de vapeur seule tant que la chaleur totale nécessaire à son évaporation complète n'a pas été apportée au liquide), les deux phases ne coexistent pas dans une transition d'ordre 2, celle-ci étant immédiate.
En revanche, toujours pour cette même transition d'ordre 2, les dérivées partielles d'ordre 2 de l'enthalpie libre, liées aux coefficients calorimétriques et thermoélastiques selon[2] :
ne sont pas continues, ce qui implique, les deux phases étant à la même température et occupant le même volume pour une même quantité de matière, que :
On a donc, en termes de capacité thermique isobare molaire :
Démonstration
[modifier | modifier le code]Considérons la transition de phase d'un corps pur défini par l'équation suivante, mettant en jeu les phases et à pression et température constantes :
À l'équilibre des phases, pour une transition de phase d'ordre 2, nous avons donc les relations entre volumes molaires et entropies molaires des deux phases :
Si l'on modifie la température initiale de l'équilibre de , tout en restant à l'équilibre des deux phases, alors la pression d'équilibre est modifiée de , les volumes molaires des deux phases sont modifiés respectivement de et , les entropies molaires de et . Les égalités entre volumes molaires et entropies molaires des deux phases sont toujours vérifiées lorsque le système atteint son nouvel équilibre ; on peut écrire :
d'où les égalités des variations :
Selon les définitions des coefficients calorimétriques et thermoélastiques ces variations valent :
Il s'ensuit, en déclinant l'expression pour chacune des deux phases et , et en considérant les égalités des variations des deux grandeurs :
Avec on réarrange selon :
On considère ici une transition de phase de deuxième ordre selon la classification d'Ehrenfest, soit :
On obtient les formules d'Ehrenfest[6] :
Nous avons vu que la définition des transitions d'ordre 2 implique que la formule de Clapeyron, valable pour les transitions d'ordre 1 :
conduit à une indétermination de la forme 0/0, puisque pour les transitions d'ordre 2 :
Cette indétermination peut être levée par la règle de L'Hôpital.
Les diverses grandeurs molaires sont des fonctions de la pression et de la température :
À température constante on pose :
On a ainsi, selon la règle de L'Hôpital :
En considérant les définitions des coefficients calorimétriques et thermoélastiques :
on obtient :
On a finalement :
À pression constante on pose :
On a ainsi, selon la règle de L'Hôpital :
En considérant les définitions des coefficients calorimétriques et thermoélastiques :
on obtient :
On a finalement :
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- Taillet et al. 2018, p. 248.
- Corriou 1985, p. 5-7.
- Soustelle 2016, p. 15-23.
- Soustelle 2016, p. 23.
- Jedrzejewski 2009, p. 160.
- Soustelle 2016, p. 20-23.
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Peter William Atkins et Julio De Paula, Chimie physique, De Boeck Supérieur, (ISBN 978-2-8041-6651-9, lire en ligne), p. 149-151.
- Jean-Pierre Corriou, Thermodynamique chimique : Diagrammes thermodynamiques, vol. J 1026, Techniques de l'ingénieur, coll. « base documentaire Thermodynamique et cinétique chimique, pack Opérations unitaires. Génie de la réaction chimique, univers Procédés chimie - bio - agro », , p. 5-7.
- Franck Jedrzejewski, Modèles aléatoires et physique probabiliste, Springer Science & Business Media, , 572 p. (ISBN 9782287993077, lire en ligne), p. 158-160.
- Hervé Lemarchand, sous la direction de Geneviève M. L. Dumas et Roger I. Ben-Aïm, L'Indispensable en thermodynamique chimique : les fondements, Bréal, (ISBN 2-7495-0264-0), p. 72.
- Michel Soustelle, Transformations entre phases, vol. 5, ISTE Group, coll. « Génie des procédés / Thermodynamique chimique approfondie », , 240 p. (ISBN 9781784051235, lire en ligne), p. 15-23.
- Richard Taillet, Loïc Villain et Pascal Febvre, Dictionnaire de physique : + de 6500 termes, nombreuses références historiques, des milliers de références bibliographiques, Louvain-la-Neuve/impr. aux Pays-Bas, De Boeck supérieur, , 976 p. (ISBN 978-2-8073-0744-5, lire en ligne).