La Bible enfin expliquée/Édition Garnier/Machabées
LES MACHABÉES.
Il ne faut point mépriser la curiosité que les
juifs nous inspirent. Tout superstitieux, tout
inconstants, tout ignorants, tout barbares, et
enfin tout malheureux qu’ils ont été et qu’ils
sont encore, ils sont pourtant les peres des deux
religions qui partagent aujourd’hui le monde,
de Rome au Thibet, et du mont Atlas au
Gange. Les juifs sont les peres des chrétiens et
des musulmans. L’évangile dicté par la vérité, et
l’alcoran écrit par le mensonge, sont également
fondés sur l’histoire juive. C’est une mere
infortunée, respectée et opprimée par ses deux
filles ; par elles détronée, et cependant sacrée
pour elles. Voilà mon excuse de la peine
fastidieuse de continuer ces recherches,
entreprises par trois hommes plus savants que moi[2],
mais à qui je ne cede point dans l’amour de la
vérité.
Les juifs respirerent sous Alexandre pendant dix
années. Cet Alexandre forme la plus brillante
époque de tous les peuples occidentaux. Il est
triste que son histoire soit défigurée par
des contes fabuleux, comme celle de tous les
héros et de toutes les nations antiques. Il est
encore plus triste que ces fables soient répétées
de nos jours, et même par des compilateurs
estimables. à commencer par l’avénement
d’Alexandre au trône de Macédoine, je ne puis lire
sans scrupule dans Prideaux[3], que Philippe, pere
d’Alexandre, fut assassiné par un de ses gardes
qui lui avait demandé inutilement justice contre un
de ses capitaines, par lequel il avait été violé
. Quoi donc ! Un soldat est assez
intrépide, assez furieux pour poignarder son roi,
au milieu de ses courtisans ; et il n’a ni assez de
force, ni assez de courage pour résister à un
vieux sodomite ! Il se laisse violer comme une
jeune fille faible de corps et d’esprit ! Mais c’est
Diodore De Sicile qui le raconte au bout de
trois-cents ans. Diodore dit que ce garde était
ivre. Mais, ou il consentit, dans le vin, à
cette infamie trop commune chez les thraces ; ou le
vin devait exciter sa colere et augmenter ses forces.
Ce fut dans l’ivresse qu’Alexandre tua Clitus.
Justin copie Diodore ; Plutarque les copie
tous deux. Prideaux et Rollin copient de notre
temps ces anciens auteurs ; et quelque autre
compilateur en fera autant, si des scrupules
pareils aux miens ne l’arrêtent. Modernes
perroquets, qui répétez des paroles anciennes, cessez
de nous tromper en tout genre.
Si je voulais connaître Alexandre, je me le
représenterais à l’âge de vingt ans, succédant au
généralat de la Grece qu’avait eu son pere,
soumettant d’abord tous les peuples, depuis les
confins de la Thrace jusqu’au Danube, vainqueur
des thébains, qui s’opposaient à ses droits de
général, conduisant trente-cinq mille soldats
aguerris contre les troupes innombrables
de ces mêmes perses qui depuis vainquirent si
souvent les romains, enfin allant jusqu’à
l’Hydaspe dans l’Inde, parce que c’était là que
finissait l’empire de Darius. Je regarderais cette
guerre mémorable comme très légitime, puisqu’il
était nommé par toute la Grece, malgré
Démosthene, pour venger tous les maux que
les rois de Perse avaient faits si longtemps aux
grecs, et qu’il méritait d’eux une reconnaissance
éternelle. Je m’étonnerais qu’un jeune héros,
dans la rapidité de ses victoires, ait bâti cette
multitude de villes, en égypte, en Syrie, chez
les scythes et jusques dans les Indes ; qu’il
ait facilité le commerce de toutes les nations, et
changé toutes ses routes en fondant le port
d’Alexandrie. J’oserais lui rendre graces au nom
du genre humain.
Je douterais de cent particularités qu’on
rapporte de sa vie et de sa mort, de ces anecdotes
presque toujours fausses, et si souvent absurdes.
Je m’en tiendrais à ses grandes actions, connues
de toute la terre.
Ainsi les déclamations de quelques poëtes[4]
contre les conquêtes d’Alexandre ne me
paraîtraient que des jeux d’esprit. Je respecterais
celui qui respecta la mere, la femme et les filles
de Darius ses prisonnieres. Je l’admirerais dans
la digue qu’il construisit au siege de Tyr, et qui
fut imitée deux mille ans après par le cardinal
De Richelieu au siege de La Rochelle.
S’il est vrai qu’Alexandre fit crucifier deux
mille citoyens de Tyr après la prise de la ville,
je frémirais ; mais j’excuserais peut-être cette
vengeance atroce, contre un peuple qui avait
assassiné ses ambassadeurs et ses hérauts, et qui
avait jetté leurs corps dans la mer. Je me
rappellerais que César traita de même six cents des
principaux citoyens de Vannes bien moins
coupables ; et je plaindrais les nations si souvent
en proie à de si horribles calamités.
Mais je ne croirais point que Dieu suscita
Alexandre, et lui livra l’opulente ville de Tyr
uniquement pour faire plaisir à Jérusalem, avec
qui elle n’eut jamais de guerre particuliere.
Prideaux, et après lui Rollin, ont beau rapporter
des passages de Joël et d’ézéchiel, dans lesquels
ils se réjouissent de la premiere chûte de Tyr
sous Nabucodonosor, comme des esclaves
fouettés par leurs maîtres insultent à d’autres
esclaves fouettés à leur tour. Ces passages si
ridiculement appliqués ne me feraient jamais croire
que le dieu de l’univers, qui a laissé prendre tant
de fois Jérusalem et son temple, n’a fait
marcher Alexandre à la conquête de l’Asie que
pour consoler quelques juifs.
Je ne croirais pas davantage à la fable absurde que
Flavien Joseph ose raconter. Selon ce juif, le
pontife juif nommé Jaddus, ou plutôt Jadduah
avait apparu en songe à Alexandre dix ans
auparavant ; il l’avait exhorté à la conquête de
l’empire persan, et l’avait assûré que le dieu des
juifs le conduirait lui-même par la main. Quand ce
grand-prêtre vint en tremblant, suivi d’une
députation juive, adorer Alexandre, c’est-à-dire,
se prosterner devant lui et demander ses ordres,
Alexandre, voyant le mot yaho gravé sur la thiare
de ce prêtre, reconnut Jaddus au bout de dix ans, se
prosterna lui-même, comme s’il avait su l’hébreu.
Et voilà donc comment on écrivait l’histoire[5] ! Les juifs et les samaritains demi-juifs furent
sujets d’Alexandre, comme ils l’avaient été de
Darius. Ce fut pour eux un temps de repos. Les
hébreux des dix tribus, dispersées par
Salmanazar et par Assaradon, revinrent en foule et
s’incorporerent dans la tribu de Juda. Rien n’est
en effet plus vraisemblable. Tel est le
dénouement naturel de cette difficulté qu’on
fait encore tous les jours : que sont devenues
les dix tribus captives ? Celle de Juda, possédant
Jérusalem, s’arrogea toujours la supériorité,
quoique cette capitale fût située dans le territoire
de Benjamin. C’est pourquoi tous les
prophetes juifs ne cessaient de dire que la verge
resterait toujours dans Juda, malgré la jalousie
des samaritains établis à Sichem. Mais quelle
domination ! Ils furent toujours assujettis à des
étrangers.
Il y eut quelques juifs dans l’armée d’Alexandre
lorsqu’il eut conquis la Perse ; du moins
si nous en croyons le petit livre de Flavien
Joseph contre Appion. Ces soldats étaient
probablement de ceux qui étaient restés vers
Babylone après la captivité, et qui avaient mieux
aimé gagner leur vie chez leurs vainqueurs que d’aller
relever les ruines du temple de Jérusalem.
Alexandre voulut les faire travailler comme les
autres à rebâtir un autre temple, celui de Bélus
à Babylone. Joseph assure qu’ils ne voulurent
jamais employer leurs mains à un édifice profane,
et qu’Alexandre fut obligé de les chasser.
Plusieurs juifs ne furent pourtant pas si
difficiles, lorsque trois cents ans après ils
travaillerent sous Hérode à bâtir un temple dans
Césarée à un mortel, à l’empereur Auguste leur
souverain ; tant le gouvernement change quelquefois
les mœurs des hommes les plus obstinés.
On n’a point assez remarqué, que le temps
d’Alexandre fit une révolution dans l’esprit
humain aussi grande que celle des empires de la
terre. Une nouvelle lumiere, quoique mêlée
d’ombres épaisses, vint éclairer l’Europe,
l’Asie, et une partie de l’Afrique
septentrionale. Cette lumiere venait de la seule
Athênes. Elle n’était pas comparable sans doute à
celle que les Newton et les Loke ont répandues de
nos jours sur le genre humain du fond d’une île
autrefois ignorée du reste du monde. Mais
Athênes avait commencé à éclairer les esprits en
tout genre. Alexandre, élevé par Aristote, fut le
digne disciple d’un tel maitre. Nul homme n’eut
plus d’esprit, plus de graces et de goût, plus
d’amour pour les sciences que ce conquérant. Tous
ses généraux, qui étaient grecs, cultiverent les
beaux-arts jusques dans le tumulte
de la guerre et dans les horreurs des factions. Ce
fut un temps à peu près semblable à ce qu’on vit
depuis sous César et Auguste, et sous les
Médicis. Les hommes s’accoutumerent peu-à-peu à
penser plus raisonnablement, à mettre plus d’ordre
et de naturel dans leurs écrits, et à colorer avec
des dehors plus décents leurs plaisirs, leurs
passions, leurs crimes-mêmes. Il y eut moins des
prodiges, quoique la superstition fût toujours
enracinée dans la populace, qui est née pour elle.
Les juifs eux-mêmes se défirent de ce style
ampoulé, incompréhensible, incohérent, qui va par
sauts et par bonds, et qui ressemble aux rêveries
de l’ivresse quand il n’est pas l’enthousiasme d’une
inspiration divine.
Les sublimes idées de Platon sur l’existence
de l’ame, sur sa distinction de la machine
animale, sur son immortalité, sur les peines et les
récompenses après la mort, pénétrerent d’abord
chez les juifs hellénistes établis avec de grands
privileges dans Alexandrie, et delà chez les
pharisiens de Jérusalem. Ils n’entendaient
auparavant que la vie par le mot d’ame ; ils
n’avaient aucune notion de la justice rendue par
l’être suprême aux ames des bons, et aux méchants qui
survivaient à leurs corps ; tout avait été
jusques-là temporel, matériel et mortel chez ce
peuple également grossier et fanatique.
Tout change après la mort d’Alexandre sous
les Ptolémées et sous les Séleucides. Les
livres de machabées en sont une preuve. Nous
n’en connaissons pas les auteurs. Nous nous
contentons d’observer, qu’en général ils sont
écrits d’un style un peu plus humain que toutes
les histoires précédentes, et plus approchant
quelquefois (si on l’ose dire) de l’éloquence des
grecs et des romains.
C’est dans le second livre des machabées
qu’on voit pour la premiere fois une notion claire
de la vie éternelle et de la résurrection, qui
devint bientôt le dogme des pharisiens. Un des
sept freres Machabées, qui sont supposés
martyrisés avec leur mere par le roi de Syrie
Antiochus épiphane, dit à ce prince : tu nous arraches la vie présente, méchant prince ; mais le roi du monde nous rendra une vie éternelle, en nous ressuscitant quand nous serons morts pour ses loix .
On remarque encore dans ce second livre la croyance anticipée d’une espece de purgatoire. Judas Machabée, en fesant enterrer les morts après une bataille, trouve dans leurs vêtements des dépouilles consacrées à des idoles. L’armée ne doute point que cette prévarication ne soit la cause de leur mort. Judas fait une quête de douze mille drachmes, et les envoie à Jérusalem, afin qu’on offre un sacrifice pour les péchés des morts ; tant il avait de bons et de religieux sentiments touchant la résurrection.
il est évident qu’il n’y avait qu’un pharisien nouvellement persuadé de la résurrection qui pût s’exprimer ainsi. Nous ne dissimulerons point les raisons qu’on apporte contre l’authenticité et la veracité des livres des machabées. 1 on nie d’abord le supplice des sept freres Machabées et de leur mere, parce qu’il n’en est point fait mention dans le premier livre, qui va bien loin par-delà le regne d’Antiochus épiphane ou l’illustre. Matathias, pere des Machabées, n’avait que cinq fils, qui tous se signalerent pour la défense de la patrie. L’auteur du second livre, qui raconte le supplice des Machabées, ne dit point en quel lieu Antiochus ordonna cette exécution barbare ; et il l’aurait dit si elle avait été vraie. Antiochus semblait incapable d’une action si cruelle, si lâche et si inutile. C’était un très-grand prince, qui avait été élevé à Rome. Il fut digne de son éducation, valeureux et poli, clément dans la victoire, le plus libéral des princes et le plus affable ; on ne lui reproche qu’une familiarité outrée qu’il tenait de la plupart des grands de Rome, dont la coutume était de gagner les suffrages du peuple en s’abaissant jusqu’à lui. Le titre d’illustre que l’Asie lui donna, et que la postérité lui conserve, est une assez bonne réponse aux injures (lâche ressource des faibles) que les juifs ont prodiguées à sa mémoire, et que des compilateurs indiscrets ont répétées de nos jours par un zele plus emporté que judicieux. Il était roi de Jérusalem, enclavée dans ses vastes états de Syrie. Les juifs se révolterent contre lui. Ce prince, vainqueur de l’égypte, revint les punir ; et comme la religion était l’éternel prétexte de toutes les séditions et des cruautés de ce peuple, Antiochus lassé de sa tolérance, qui les enhardissait, ordonna enfin qu’il n’y aurait plus qu’un seul culte dans ses états, celui des dieux de Syrie. Il priva les rebelles de leur religion et de leur argent, deux choses qui leur étaient également cheres. Antiochus n’en avait pas usé ainsi en égypte, conquise par ses armes ; au contraire, il avait rendu ce royaume à son roi avec une générosité qui n’avait d’exemple que dans la grandeur d’ame avec laquelle on a dit que Porus fut traité par Alexandre. Si donc il eut plus de sévérité pour les juifs, c’est qu’ils l’y forcerent. Les samaritains lui obéirent ; mais Jérusalem le brava ; et delà naquit cette guerre sanglante, dans laquelle Judas Machabée et ses quatre freres firent de si belles choses avec de très-petites armées. Donc l’histoire du supplice des prétendus sept Machabées et de leur mere n’est qu’un roman. 2 le romanesque auteur commence ses mensonges par dire, qu’Alexandre partagea ses états à ses amis de son vivant. Cette erreur, qui n’a pas besoin d’être réfutée, fait juger de la science de l’écrivain. 3 presque toutes les particularités rapportées dans ce premier livre des machabées sont aussi chimériques. Il dit que Judas Machabée, lorsqu’il fesait la guerre de caverne en caverne dans un coin de la Judée, voulut être l’allié des romains ; ayant appris qu’il y avait bien loin un peuple romain, lequel avait subjugué les galates . Mais cette nation des galates n’était pas encore asservie ; elle ne le fut que par Cornélius Scipio. 4 il continue et dit, qu’Antiochus le grand, dont Antiochus épiphane était fils, avait été captif des romains . C’est une erreur évidente. Il fut vaincu par Lucius Scipio surnommé l’asiatique ; mais il ne fut point prisonnier ; il fit la paix, se retira dans ses états de Perse, et paya les fraix de la guerre. On voit ici un auteur juif mal instruit de ce qui se passe dans le reste du monde, et qui parle au hazard de ce qu’il ne sait point. Calmet dit, pour rectifier cette erreur : ce prince se soumit au vainqueur ni plus ni moins que s’il eût été captif . 5 l’écrivain des machabées ajoute, que cet Antiochus le grand céda aux romains les Indes, la Médie et la Lydie . Ceci devient trop fort. Une telle impertinence est inconcevable. C’est dommage que l’auteur juif n’y ait pas ajouté la Chine et le Japon. 6 ensuite, voulant paraître informé du gouvernement de Rome, il dit, qu’on y élit tous les ans un souverain magistrat, auquel seul on obéit . L’ignorant ne savait pas même que Rome eût deux consuls. 7 Judas Machabée et ses freres, si on en croit l’auteur, envoient une ambassade au sénat romain ; et les ambassadeurs, pour toute harangue, parlent ainsi : Judas Machabée, et ses freres, et les juifs, nous ont envoyés à vous pour faire avec vous société et paix . C’est à peu près comme si un chef de parti de la république de St Marin envoyait des ambassadeurs au grand-turc pour faire société avec lui. La réponse des romains n’est pas moins extraordinaire. S’il y avait eu en effet une ambassade à Rome d’une république Palestine bien reconnue, si Rome avait fait un traité solemnel avec Jérusalem, Tite-Live et les autres historiens en auraient parlé. L’orgueil juif a toujours exagéré ; mais il n’a jamais été plus ridicule. 8 on voit, bientôt après, une autre fanfaronade : c’est la prétendue parenté des juifs et des lacédémoniens. L’auteur suppose qu’un roi de Lacédémone, nommé Arius, avait écrit au grand-prêtre juif, Onias Troisieme, en ces termes : il a été trouvé dans les écritures, touchant les spartiates et les juifs, qu’ils sont freres, étant tous de la race d’Abraham ; et à présent que nous le connaissons, vous faites bien de nous écrire que vous êtes en paix ; et voici ce que nous avons répondu : nos vaches et nos moutons et nos champs sont à vous ; nous avons ordonné qu’on vous apprît cela . On ne peut traiter sérieusement des inepties si hors du sens commun. Cela ressemble à Arlequin qui se dit curé de Domfront ; et quand le juge lui fait voir qu’il a menti, monsieur, dit-il, je croyais l’être. Ce n’est pas la peine de montrer qu’il n’y eut jamais de roi de Sparte nommé Arius ; qu’il y eut, à la vérité, un aretes du temps d’Onias Premier ; et qu’au temps d’Onias troisieme Lacédémone n’avait plus de rois. Ce serait trop perdre son temps, de montrer qu’Abraham fut aussi inconnu dans Sparte et dans Athênes que dans Rome. 9 nous osons ajouter à ces puérilités si méprisables l’avanture merveilleuse d’Héliodore, racontée dans le second livre au chapitre trois. C’est le seul miracle mentionné dans ce livre ; mais il n’a pas paru croyable aux critiques. Séleucus Philopator roi de Syrie, de Perse, de la Phénicie et de la Palestine, est averti par un juif, intendant du temple, qu’il y a dans cette forteresse un trésor immense. Séleucus, qui avait besoin d’argent pour ses guerres, envoie Héliodore un de ses officiers demander cet argent, comme le roi de France François I a demandé depuis la grille d’argent de st Martin. Héliodore vient exécuter sa commission, et s’arrange avec le grand-prêtre Onias. Comme ils parlaient ensemble dans le temple, on voit descendre du ciel un grand cheval portant un cavalier brillant d’or. Le cheval donne d’abord des ruades avec les pieds de devant à Héliodore ; et deux anges, qui servaient de palefreniers au cheval armés chacun d’une poignée de verges, fouettent Héliodore à tour de bras. Onias le grand-prêtre eut la charité de prier Dieu pour lui. Les deux anges palefreniers cesserent de fouetter. Ils dirent à l’officier : rends grace à Onias ; sans ses prieres nous t’aurions fessé jusqu’à la mort. Après quoi ils disparurent. On ne dit pas si après cette flagellation Onias s’accommoda avec son roi Séleucus, et lui prêta quelques deniers. Ce miracle a paru d’autant plus impertinent aux critiques, que ni le roi d’égypte Sésac, ni le roi de l’Asie Nabucodonosor, ni Antiochus l’illustre, ni Ptolémée Soter, ni le grand Pompée, ni Crassus, ni la reine Cléopatre, ni l’empereur Titus, qui tous emporterent quelque argent du temple juif, ne furent pas cependant fouettés par des anges. Il est bien vrai qu’un saint moine a vu l’ame de Charles Martel que des diables conduisaient en enfer dans un bateau, et qu’ils fouettaient pour s’être approprié quelque chose du trésor de st Denys. Mais ces cas-là arrivent rarement. 10 nous passons une multitude d’anachronismes, de méprises, de transpositions, d’ignorances et de fables, qui fourmillent dans les livres des machabées, pour venir à la mort d’Antiochus l’illustre, décrite au chapitre 9 du livre second. C’est un entassement de faussetés, d’absurdités et d’injures, qui font pitié. Selon l’auteur, Antiochus entre dans Persépolis pour piller la ville et le temple. On sait assez que cette capitale, nommée Persépolis par les grecs, avait été détruite par Alexandre. Les juifs, toujours isolés parmi les nations, toujours occupés de leurs seuls intérêts et de leur seul pays, pouvaient bien ignorer les révolutions de la Chine et des Indes : mais pouvaient-ils ne pas savoir que cette ville, appellée Persépolis par les seuls grecs, n’existait plus ? Son nom véritable était Sestekar . Si c’était un juif de Jérusalem qui eût écrit les machabées, il n’eût pas donné au séjour des rois de Perse un nom si étranger. Delà on conclut que ces livres n’ont pu être écrits que par un de ces juifs hellénistes d’Alexandrie, qui commençait à vouloir devenir orateur. Que de raisons en faveur des savants et des premiers peres de l’église qui proscrivirent l’histoire des Machabées. Mais voici bien d’autres raisons de douter. Le premier livre de cette histoire dit qu’Antiochus mourut l’an 189[6] de l’ère des séleucides, que les juifs suivaient comme sujets des rois de Syrie : et dans le second livre, qui est une lettre prétendue écrite de Jérusalem aux hellénistes d’Alexandrie, l’auteur date de l’an des séleucides 188[7]. Ainsi il parle de la mort d’Antiochus un an avant qu’elle soit arrivée. Au premier livre il est dit que ce roi voulut s’emparer des boucliers d’or laissés par Alexandre Le Grand dans la ville d’élimaïs sur le chemin d’Ecbatane, qui est la même que Ragès ; qu’il mourut de chagrin dans ces quartiers, en apprenant que les Machabées avaient résisté à ses troupes en Judée. Au second livre il est dit qu’il tomba de son char, qu’il fut tellement froissé de sa chûte que son corps fourmilla de vers ; qu’alors ce roi de Syrie demanda pardon au dieu des juifs. C’est là qu’est ce verset si connu, et dont on a fait tant d’usage : le scélérat implorait la miséricorde du seigneur, qu’il ne devait pas obtenir . L’auteur ajoute qu’Antiochus promit à Dieu de se faire juif. Ce dernier trait suffit ; c’est comme si Charles-Quint avait promis de se faire turc.
DU TROISIÈME LIVRE DES MACHABÉES.
Nous ne dirons qu'un mot du troisième livre des Machabées, et rien du quatrième, jugés pour apocryphes par toutes les Églises.
Voici une historiette du troisième ; la scène est en Egypte. Le roi Ptolémée Philopator est fâché contre les Juifs, qui commerçaient en grand nombre dans ses États ; il en ordonne le dénombrement, et, selon Philon, ils composaient un million de têtes. On les fait assembler dans l'hippodrome d'Alexandrie. Le roi promulgue un édit par lequel ils seront tous livrés à ses éléphants pour être écrasés sous leurs pieds. L'heure prise pour donner ce spectacle. Dieu, qui veille sur son peuple, endort le roi profondément. Ptolémée, à son réveil, remet la partie au lendemain ; mais Dieu lui ôte la mémoire : Ptolémée ne se souvient plus de rien. Enfin, le troisième jour, Ptolémée, bien éveillé, fait préparer ses Juifs et ses éléphants. La pièce allait être jouée, lorsque soudain les portes du ciel s'ouvrent : deux anges en descendent ; ils dirigent les éléphants contre les soldats qui devaient les conduire; les soldats sont écrasés, les Juifs sauvés, le roi converti. Voilà cette fois
· · · · · · dignus vindice nodus[8].
On écrivait plaisamment l'histoire dans ce pays-là.
- ↑ Ici le troisième commentateur s'est arrêté; et un quatrième a continué l'histoire hébraïque d'une manière différente des trois autres. (Note de Voltaire.)
- ↑ Le quatrième ou prétendu quatrième commentateur de la Bible désigne ses trois prédécesseurs. (B.)
- ↑ Histoire des Juifs, livre VII.
- ↑ Boileau : voyez tome XVII, page 107.
- ↑ Dans son Charlot, acte I, scène vii (voyez tome V du Théâtre), Voltaire avait dit :
- Et voilà justement comme on écrit l’histoire.
- ↑ La Vulgate, chapitre VI, verset 16, porte : Centesimo quadragesimo nono. La faute de Voltaire ne peut s'expliquer que par une étrange distraction ou par l'existence d'une édition de la Bible dans laquelle on lirait, par faute d'impression : Centesimo octogesimo nono. (B.)
- ↑ Chapitre Ier, verset 10.
- ↑ Horace, de Arte poetica, 191.