De L’Éducation chez les Chinois
Il y a trois genres de composition sur lesquels on examine les candidats littéraires dans les concours institués à la Chine ; ce sont : 1o le Wen-tchang ou beau style ; 2o la poésie ; 3o et les tsè, plans ou projets relatifs à des matières politiques ou administratives. Ces projets doivent offrir la solution de questions telles que celles-ci ; « Comment doit-on réprimer des brigands ou des pirates ? » — « Comment peut-on prévenir des inondations locales ? etc. »
De ces trois genres de composition, le Wen-tchang est considéré comme le plus important. Dans les morceaux de cette espèce on a égard aux sentimens et au style. Des opinions hétérodoxes ou nouvelles, habillées du style le plus éblouissant, seraient rejetées à l’examen aussi bien que des sentimens approuvés qui seraient écrits dans un mauvais style. Le Wen-tchang est toujours l’amplification d’un texte pris dans les livres sacrés des Chinois, c’est-à-dire, dans les Sse-chou ou les cinq kings. J’emploie ici l’épithète de sacrés en parlant de ces livres, pour donner au lecteur une idée juste de la vénération dont ils sont l’objet et de l’autorité dont ils jouissent, l’épithète de classiques ne dirait pas assez.
Il y a de petits ouvrages où les règles de la composition sont expliquées de diverses manières, mais surtout par des exemples, à l’usage des jeunes gens qui étudient, dans la vue d’embrasser la profession littéraire ou plutôt de remplir des fonctions civiles dans l’état. Un seul petit volume, intitulé Thsou-hio-ming-king (le clair miroir de l’étudiant), contient l’analyse suivante des essais de Wen-tchang.
1. La première partie du travail consiste à fendre, ouvrir le sujet proposé, ce que l’auteur explique ainsi : « Ouvrir le sens au sujet, de la même manière qu’on ouvre en le brisant, un objet matériel pour voir ce qu’il renferme. » À cet effet, il est nécessaire de bien observer (en supposant que l’on ait un chapitre à ouvrir) sur quel paragraphe de ce chapitre, sur quelle phrase de ce paragraphe et sur quel mot de cette phrase on doit insister de préférence, saisir ensuite ce qu’il y a d’essentiel dans l’idée première, et l’ouvrir. Cette opération par laquelle on entre en matière doit être concise et non diffuse, élégante et non vulgaire : elle doit aller droit au but et non pas se répandre comme un fleuve débordé.
Il y a différens modes d’entrer en matière, 1° on peut annoncer le sujet explicitement ; 2° implicitement comme au moyen d’une allusion ; 3° par la citation du texte pris dans son entier ; 4° par la citation partielle de ce même texte ; 5° on peut présenter d’abord l’idée principale et appeler ensuite l’attention sur les mots du sujet proposé ; 6° on peut procéder d’une manière inverse, c’est-à-dire, commencer par attaquer la surface ou l’enveloppe verbale du sujet, et ensuite s’emparer du fond ou de l’idée principale ; 7° on peut poser d’abord la question, puis la résoudre ; 8° enfin on peut présenter la solution de la question comme un théorème et ensuite le démontrer. Ces règles et les suivantes se nomment kiouè.
2. La seconde partie du travail consiste à reprendre son sujet, c’est-à-dire à revenir sur l’idée qu’on n’a encore exposée qu’imparfaitement et à l’expliquer.
Quand le début est régulier (tching), c’est-à-dire quand il présente l’idée principale d’une manière directe, alors la phrase suivante qui constitue la seconde partie du travail doit être oppositive ou inverse dans la forme. Si au contraire on a débuté sous une forme oppositive, il faut présenter la même idée dans la seconde phrase sous la forme régulière et directe, etc.
3. La troisième partie est le commencement de la discussion du sujet proposé. C’est ici que le Wen-tchang ou la composition proprement dite entre en carrière, et qu’il faut entamer la discussion de son sujet, avec assez d’art et de précision pour que celui qui n’a encore lu qu’une phrase voie aussitôt de quoi il s’agit. Il faut cependant alors user de réserve et prendre bien garde de tout dire dès l’abord ; mais il en faut dire assez et seulement assez, pour que le lecteur saisisse la tendance de l’ouvrage. C’est d’après ce principe qu’on exige que, dans les mémoires adressés à l’empereur, une ou deux lignes, écrites au commencement, expriment l’objet général du mémoire.
4* Vient ensuite la ramification ou division. Le premier mot indique que la division dont il s’agit ici est une distinction de choses connexes dont il ne faut pas rompre l’enchaînement. Cette quatrième partie s’appelle la grande clef du Wen-tchang. Elle lie naturellement la discussion préliminaire, dont nous venons de parler, à la discussion plus complète qui lui succède. Lorsque cette ramification est bien conçue, elle est exempte à la fois d’incohérence et d’identité.
5. La transition est la partie de la composition par laquelle l’écrivain passe d’une idée à une autre. Dans tous les sujets qui présentent deux faces différentes, il faut quelques mots pour passer de la considération de la première à celle de la seconde.
6. La division centrale est la partie consacrée à la discussion régulière et directe du sujet considérée dans la forme. Cette discussion doit procéder sur deux colonnes, c’est-à-dire sous une forme symétrique ou antithétique. Les doubles colonnes ou le parallélisme requis dans le Wen-tchang, sont appelées par les Chinois le nerf du style. Si le sujet se divise naturellement en deux idées, chacune d’elles constituera une colonne. S’il n’en renferme qu’une, la double considération du fond et de la forme servira de base aux deux colonnes. Les rhéteurs chinois disent qu'une colonne cachée vaut mieux qu'une colonne apparente.
Les méthodes d'amplification indiquées par notre auteur sont de diverses espèces. La première consiste à emprunter une chemise, c'est-à-dire à revêtir son sujet d'une idée qui s'y rapporte exactement. La seconde méthode est celle de la réflexion mutuelle ; elle consiste à rapprocher d'un sujet donné un autre sujet qui jette du jour sur le premier en même tems qu'il en reçoit. Une troisième méthode est de suivre, dans ses conséquences, la proposition inverse de celle que l'on veut établir pour rentrer ensuite dans celle-ci. Il y en a encore d'autres que je passe sous silence.
7. La conclusion doit offrir le développement de la dernière partie du jugement exprimé dans la division centrale. On peut conclure la discussion de plusieurs manières, soit en tirant une dernière conséquence de ce que l'on a précédemment établi, soit en faisant voir toute la portée de son sujet, soit en excitant l'admiration, soit en résumant la discussion première, soit en appelant les faits à l'appui du raisonnement, ou le raisonnement à l'appui des faits, soit en rapprochant la proposition directe de la proposition inverse, soit en combinant toutes les idées de la thèse, soit en les complétant, soit enfin en préparant ce qui va suivre. Dans tous les cas, et quel que soit le parti qu'on prenne, il faut prendre garde de se répéter.
8. La dernière partie du travail s'appelle en chinois le nœud de la composition. Elle se compose d'un petit nombre de phrases, que l’on peut comparer à des cordons servant à rassembler les différentes parties du sujet, pour en former un tout et les nouer ensemble.
Telles sont les huit parties, dans lesquelles l’auteur de l’ouvrage cité divise les compositions de l’espèce nommée Wen-tchang. On peut les réduire à quatre :
Ki-kou. — L’exorde.
Tchoung-kou. — La division centrale.
Mo-kou. — La conclusion ou le morceau final.
Kie-kou. — Le nœud.
Les compositions où l’on n’a pas égard à ces divisions se nomment san-tso, ou san-touan. Elles ne renferment que l’exorde, la discussion du sujet et la conclusion.
Tchhouan, tour. L’excellence d’une composition est tout entière dans les tours d’expression. Les Chinois comparent les effets variés, produits par les tours heureux, à ceux que l’on observe au milieu des montagnes renommées pour la beauté de leurs sites, où l’horison change d’un instant à l’autre, et présente à chaque détour une nouvelle scène aux yeux du voyageur.
Fan, opposition. Quand on a un jugement à exprimer la forme adversative est souvent regardée comme plus énergique que la forme directe. Les écrivains de l’antiquité appelés Tsi-sse (auteurs politiques), sont pleins de ce genre de figure, et l’on dit à la Chine qu’il n’y a rien de plus nerveux que leurs écrits. Or, ces auteurs ne disaient pas : « Si vous ne faites ainsi vous ne gagnerez point. » Mais bien : « Si vous ne faites ainsi vous souffrirez. » Dans le Lun-iu, au lieu de dire simplement : « Kouan-chi ne sait pas les rites ; » l’auteur a dit : « Si Kouan-chi sait les rites, qui est-ce qui ne les sait pas ? »