“Le philosophe doit-il toujours rester zen ?”
Question de Paul Laroute
Mais pourquoi donc le devrait-il ? Platon est entré en philosophie (ou plutôt : il n’a plus pu ne pas y entrer) après le scandale de la mort de Socrate, assassiné par ses contemporains. Croyez-vous vraiment que Platon ait appris cette nouvelle – et pris cette injustice – en sachant demeurer « zen » ? D’après Aristote, c’est dans l’étonnement que naît la philosophie. Croyez-vous que cet étonnement devant l’existence même du monde – devant le fait qu’il y ait quelque chose plutôt que rien – relève d’une forme de « zenitude » ? Lorsque Marx entre dans l’arène philosophique, c’est pour ne plus simplement penser le monde mais véritablement « le transformer ». Croyez-vous que l’esprit zen soit ce qui l’emporte alors dans son cœur de philosophe ? Il me semble d’ailleurs qu’une belle manière de présenter la philosophie aux élèves est de la définir comme un remède à trop de « tranquillité » : « Peut-être n’avez-vous pas encore rencontré les drames de l’existence – deuils, maladies, grandes injustices, blessures d’ego… – eh bien, par la philosophie, nous allons les anticiper, les penser avant qu’ils n’arrivent, de manière à nous y préparer. » La philosophie me semble ainsi faite davantage pour inquiéter que pour apaiser, pour déranger que pour calmer. Préférer le sens critique au confort de l’opinion, préférer le doute à la certitude, ce n’est assurément pas chercher à « rester zen » ! Zen serait plutôt celui qui ne se pose aucune question… Peut-être, enfin, que c’est le sage, plus que le philosophe, qui cherche à demeurer calme et tranquille en toutes occasions. Rechercher la sagesse serait alors rechercher cette forme d’apaisement. Mais le philosophe n’est pas exactement un sage. Comme l’a écrit Jean-Michel Besnier dans ses Réflexions sur la sagesse (1999), le philosophe, lui, n’a pas éteint le désir, et ce désir est manque, intranquillité, qui tient en éveil, en vie. Il n’est pas désengagé comme le sage mais engagé tout entier dans les questions qui le soucient, dans le monde, son œuvre aussi parfois. S’il lui arrive heureusement de trouver une sorte de calme intérieur au cœur même de la tempête de la pensée et de la vie, il me semble donc qu’elle ne relève aucunement du « zen » compris par le sens commun dans l’expression « rester zen ». Un philosophe enfin peut très bien se mettre en colère, de cette colère saine qui nous fait agir et penser.
“Pourquoi le ciel étoilé nous fascine-t-il autant ?”
Question de Claire Martinot
Ce serait plutôt le contraire qui serait surprenant… À vrai dire, tout, dans le ciel étoilé, échappe aux limites de notre pensée. Chacune de ses étoiles, en étant un soleil au moins aussi grand que le nôtre, nous rappelle à notre petitesse, pour ne pas dire moins. Nous avons tout simplement en face des yeux, sans même avoir à y « penser », les plus grandes des énigmes : d’où venons-nous ? Quelle est notre place dans l’Univers ? Existe-t-il, là-bas, d’autres vies ? Comment l’Univers peut-il être en expansion infinie ? Une expansion infinie est-elle possible dans des limites finies ? Nous avons également devant nos yeux le passé qui n’est plus : toutes ces étoiles déjà éteintes, mais d’où la lumière ne nous parvient que maintenant. Le ciel étoilé est comme un gigantesque divan de psy : il suffit d’ouvrir les yeux, et nous avons le passé devant nos yeux ! Le plus étonnant, finalement, est que nous regardions parfois ce ciel étoilé sans nous poser toutes ces questions, qu’une sorte d’habitude puisse parfois recouvrir notre émerveillement…
Expresso : les parcours interactifs
Kant et la raison
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