Un an après le scandale du « Grand Prix pirate », la Formule 1 revient en Espagne sur le beau circuit de Jarama, tracé exigeant dont les bosses malmènent les jupes et les amortisseurs.
Goodyear annonce son retour
Six mois auparavant, Goodyear a annoncé son retrait de la Formule 1, ne voulant pas se compromettre dans le conflit FISA - FOCA. Ce départ s'est fait au grand dam des grandes équipes anglaises qui ont dû s'engager à contrecœur avec Michelin. Depuis, la situation a évolué, les Accords de la Concorde ont été signés. Leo Mehl, directeur de la compétition chez Goodyear, a persuadé son grand patron Charles J. Pilliod d'ordonner le retour de la marque américaine à compter du Grand Prix de France. Elle équipera Williams et Brabham qui n'ont jamais caché leur hostilité à Michelin. Colère à Clermont-Ferrand : si, comme il est probable, les titres mondiaux revenaient à ces deux équipes, Michelin ne pourra pas les exploiter d'un point de vue publicitaire...
Le manufacturier français comprend que la « guerre des pneus » est relancée et réplique. Depuis Long Beach il fournissait équitablement chaque équipe. Dans un communiqué du 21 juin Pierre Dupasquier annonce qu'à compter du GP de France Michelin concentrera ses efforts sur les quatre équipes qui ont un contrat avec elle, à savoir Renault, Talbot, Ferrari et Alfa Romeo, auxquelles s'ajoutera une équipe à moteur Cosworth, probablement McLaren. Les autres devront se débrouiller au mieux avec des pneus Michelin standards, au pire avec des Avon ou des Pirelli. A bon entendeur...
L'Affaire de Villota
Entre Monaco et Jarama, FOCA et FISA ont établi la liste définitive des trente voitures engagées pour le restant de la saison afin d'éviter les polémiques qui ont émaillé les deux derniers rendez-vous. Comme il a été conclu sur le Rocher entre John Macdonald et Bernie Ecclestone, RAM retire sa deuxième voiture au profit de la Theodore.
Cependant voici que l'éternel héros local Emilio de Villota se présente avec sa Williams FW07 privée. A priori sa participation ne peut pas être validée. Mais le vendredi matin, l'équipe ATS, retardée par une grève du transport aérien, ne se présente pas sur le circuit. Comme Günther Schmidt n'a envoyé aucun mot d'explication, le Royal Automobile Club Espagnol en profite pour faire une fleur à de Villota. Il annonce que l'ATS de Borgudd ne sera pas admise au départ et que la Williams de Villota la remplacera. Cette petite manœuvre échoue quelques heures plus tard lorsqu'un télex d'Yvon Léon prévient le RACE que si l'engagement de Villota est admis, le Grand Prix d'Espagne ne comptera pas pour le championnat du monde... comme l'année précédente La fédération espagnole enjoint l'Automobile Club de capituler, ce qu'il fait promptement. De Villota doit faire ses bagages et cède la place à l'équipe ATS, enfin parvenue sur le circuit.
Cet épisode signe le glas définitif des engagements occasionnels des coureurs locaux. Ces sympathiques participations qui permettaient de mettre en valeur des pilotes peu connus n'ont hélas plus leur place dans un sport professionnalisé et ultra-réglementé.
Présentation de l'épreuve
Harvey Postlethwaite a quitté Fittipaldi à l'issue du GP de Monaco et rejoint la Scuderia Ferrari. L'arrivée d'un ingénieur anglais à Maranello est un petit événement. Postlethwaite sera chargé d'améliorer l'ensemble châssis qui laisse grandement à désirer depuis quelques années. A noter aussi l'arrivée du jeune ingénieur Adrian Reynard chez RAM-March. Il travaille sur la 811 en compagnie de Gordon Coppuck. Jo Ramirez, ancien team manager d'ATS et chef mécanicien chez Tyrrell, rejoint Theodore. Alastair Caldwell a donné sa démission à Bernie Ecclestone et quitte donc Brabham pour rejoindre ATS.
Les Williams ne sont plus engagées sous le nom de Saudia-Leyland mais de Techniques d'Avant-Garde (TAG), société d'investissement de l'homme d'affaires saoudien Mansour Ojjeh.
Dépourvu de sponsor, Marc Surer a été licencié par Mo Nunn malgré ses beaux résultats. Ricardo Zunino a d'abord été retenu pour piloter l'Ensign avant de se récuser. C'est donc Eliseo Salazar qui est choisi grâce à ses sponsors. Le Chilien est sans volant depuis que John Macdonald a éliminé son engagement d'un commun accord avec la FOCA. Enzo Osella a remplacé Piercarlo Ghinzani par Giorgio Francia, promu ingénieur-pilote de l'équipe de Formule 1. L'équipe italienne apporte d'importantes modifications à sa voiture à Jarama, dont un système de suspensions hydropneumatiques.
Retour en arrière chez Lotus : suite aux difficultés financières d'Essex, Colin Chapman a signé un contrat avec Imperial Tobacco. Les Lotus retrouvent la livrée noire et or de John Player Special, trois ans après le départ de ce sponsor. Le nom d'Essex est cependant toujours présent sur les pontons. Revigoré, Chapman s'est de plus mis en tête d'aligner sa Lotus 88 à Silverstone... malgré son interdiction par la FISA. Mansell poursuit des essais en ce sens.
Un nouveau système de jupes est installé sur la McLaren MP4 de John Watson, toujours en quête de ses premiers points. Mais le niveau de performance affiché par sa voiture incite Ron Dennis et John Barnard à l'optimisme. Ce n'est pas le cas du pilotage d'Andrea de Cesaris qui multiplie les sorties de route depuis le début de l'année. Sa réputation de plieur de châssis est en train de surpasser celle (d'ailleurs bien injustifiée) de son compatriote Riccardo Patrese...
Alfa Romeo poursuit ses innovations aérodynamiques avec de nouveaux pontons et de nouveaux ailerons. Ces solutions sont destinées à apparaître sur la future 180 qui devrait être propulsée par le moteur turbocompressé milanais.
Fittipaldi n'utilise plus les pneus Avon qui disparaissent pour le moment. L'équipe brésilienne adopte de nouveau les Michelin.
Les qualifications
Cette course est placée sous le signe de Talbot qui est son principal commanditaire. Les Bleus brillent sous le soleil espagnol et Laffite réalise sa troisième pole position consécutive à Jarama. Grâce à un programme d'essais intensifs réalisé à Dijon, la JS17 n°26 bénéficie d'une excellente tenue de route. Ligier est de retour au premier plan. Une ombre au tableau : la nouvelle contre-performance de Jabouille, seulement dix-neuvième, à trois secondes de son équipier et beau-frère... Les Williams de Jones et Reutemann suivent Laffite sur la grille. Avec sa McLaren améliorée Watson se classe quatrième, sa meilleure qualification de la saison. Victime d'un énorme accident à Dijon, Prost souffre du cou mais amène tout de même sa Renault au cinquième rang. Accablé de soucis divers, son collègue Arnoux est seulement 17ème. Les Alfa se sont entraînées sur ce tracé et le résultat est plutôt probant : Giacomelli est sixième, Andretti huitième. Ils encadrent la Ferrari de Villeneuve qui se plaint d'une tenue de route catastrophique. Le Québécois entre dans les virages à l'équerre pour en sortir les quatre roues au-delà de la bordure ! Pironi a été plus infortuné : il a cassé trois turbos et ne se classe que treizième. Les Brabham ne sont clairement pas à leur aise ici : Piquet se contente du neuvième temps tandis que Rebaque est 18ème.
Malgré un manque d'appui, les Lotus 87 ne font pas mauvaise figure (de Angelis 10ème, Mansell 11ème). De Cesaris (14ème) est encore sorti deux fois. Les Arrows manquent de motricité : Patrese est 12ème, Stohr 23ème. Les Fittipaldi de Rosberg et Serra se classent respectivement quinzième et vingt-et-unième. Qualification sans histoire pour Tambay, seizième. Les Tyrrell 010 sont de plus en plus entraînées vers les tréfonds : si Cheever est vingtième, Alboreto n'est pas qualifié. Champagne chez RAM-March : Daly accroche sa première qualification de l'année, en 22ème position. Salazar qualifie l'Ensign au dernier rang.
Les éliminés sont Alboreto (Tyrrell), Borgudd (ATS), Gabbiani et Francia (Osella), Warwick et Henton, malgré des progrès indiscutables sur leurs Toleman.
Le Grand Prix
Ce Grand Prix est un échec commercial : seulement 25 000 personnes ont pris place dans les tribunes. Le contexte est certes tendu puisque le groupe terroriste basque ETA a menacé de faire sauter le circuit ! La garde civile boucle le périmètre, ce qui n'incite guère à faire le déplacement. En tout cas le roi Juan Carlos est présent en tribune officielle. Plus concrètement, la faible affluence est aussi due au prix élevé des places. Le RACE est contraint à cette inflation car le Grand Prix est déficitaire chaque année...
Départ : Sur la grille, Laffite s'aperçoit que son embrayage glisse et que sa voiture avance légèrement. Il freine pour éviter un départ anticipé... et le feu passe au vert au même instant ! Le Français est noyé dans le peloton tandis que Jones prend la tête devant Reutemann. Audacieux, Villeneuve se fraie un chemin sur la gauche, mord dans la poussière et se retrouve troisième. Mais ce faisant il a tordu l'aileron avant de Prost... Bien parti, Andretti se retrouve quatrième. Pironi passe par le sable.
1er tour : Jones mène devant Reutemann, Villeneuve, Andretti, Prost, Watson, Giacomelli, Piquet, Patrese et Pironi. Laffite n'est qu'onzième. Tambay a endommagé son aileron avant lors d'une touchette avec Mansell et Patrese. Il regagne son stand pour le changer.
2e : Villeneuve prend l'aspiration derrière Reutemann et le déborde par l'extérieur dans la première courbe. Pironi double Patrese. Piquet dépasse Giacomelli qui cède ensuite aussi à Pironi.
3e : Jones possède trois secondes d'avance sur Villeneuve. Daly s'arrête à son stand pour réparer son accélérateur qui se coince.
4e : Jones est premier devant Villeneuve (3.8s.), Reutemann (4.5s.), Andretti (7.7s.), Prost (8.7s.), Watson (10.2s.) et Piquet (11.1s.).
5e : Jones s'envole devant Villeneuve et Reutemann. Il réalise le meilleur chrono de la course : 1'17''818'''. Prost est rapide malgré son museau un peu endommagé et menace Andretti. Nouvel arrêt pour Daly.
6e : Jones a quatre secondes et demie d'avance sur Villeneuve. Laffite prend la dixième place à Patrese. Celui-ci va céder au tour suivant à de Angelis.
8e : Huit secondes séparent Jones et Villeneuve. Piquet prend la sixième position à Watson. Laffite a doublé Giacomelli.
10e : De Cesaris part en tête-à-queue au virage de la Ciega et échoue dans le gazon. Cela commence à faire beaucoup de sorties de route pour le jeune Italien.
11e : Laffite poursuit sa belle remontée et double Pironi.
12e : Jones est premier devant Villeneuve (8.6s.), Reutemann (10.2s.), Andretti (16.1s.), Prost (17.1s.) et Piquet (18.3s.). Suivent Laffite, Pironi, Giacomelli et de Angelis.
13e : Cheever regagne son stand avec une pédale d'embrayage détachée. Une longue réparation commence.
14e : A l'abord du virage Ascari Jones bloque inexplicablement ses freins et tire tout droit dans le sable. Très énervé, il fait signe aux commissaires de le pousser. Ceux-ci s'exécutent et le champion australien reprend sa route en seizième position. Cette grossière erreur lui fait perdre une victoire qui semblait acquise. Dans le même temps Prost double Andretti tandis que Watson résiste à Laffite.
15e : Villeneuve est maintenant en tête avec une seconde et demie d'avance sur Reutemann. Jabouille s'arrête au stand Talbot pour changer ses roues arrière.
16e : Villeneuve mène devant Reutemann (1.4s.), Prost (8.7s.), Andretti (10.4s.), Piquet (12.3s.) et Watson (14s.). Viennent ensuite Laffite, Pironi, de Angelis, Patrese et Giacomelli qui rétrograde.
17e : Reutemann reste pour l'heure derrière Villeneuve. En revanche Prost semble en très grande forme et remonte assez rapidement sur le duo de tête.
19e : Reutemann se rapproche de la Ferrari de Villeneuve qui est très instable dans les virages. En revanche le Sud-Américain doit se débattre avec une troisième vitesse qui a tendance à sauter. Prost est à cinq secondes du leader.
20e : Pironi quitte la piste au virage de la Ciega. Il peut repartir mais entre ensuite au stand Ferrari pour changer son aileron avant. Jones est remonté en quatorzième position mais ne roule plus aussi rapidement qu'en début de course car il a usé ses pneus.
22e : Reutemann est dans les roues de Villeneuve. Laffite menace toujours la sixième place de Watson. Patrese entre aux stands pour abandonner, en panne de moteur.
23e : Mansell prend la neuvième place à Giacomelli. Jones double Rebaque et se retrouve onzième.
24e : Grâce à la puissance de son turbo Villeneuve résiste à Reutemann. Prost se rapproche de plus en plus de ces deux pilotes. Plus loin Piquet est pressant derrière Andretti. Pironi a repris la route en vingt-et-unième position.
26e : A la Ciega Piquet essaie de faire l'intérieur à Andretti qui ne le voit pas. Leurs roues s'entrechoquent et les deux pilotes sortent dans le sable. Ils peuvent reprendre la piste, Piquet devant Andretti, mais entretemps Watson et Laffite les ont doublés.
28e : Prost est désormais à moins de quatre secondes de Villeneuve. De Angelis double Andretti et Jones dépasse Giacomelli.
30e : Surpris par le comportement erratique de sa Renault, Prost bloque ses roues au freinage de la Ciega et atterrit dans les graviers. Il ne peut pas repartir. Cette erreur lui fait peut-être perdre la victoire car lui seul semblait pouvoir menacer Villeneuve, également propulsé par un turbo.
31e : Villeneuve précède Reutemann (0.7s.), Watson (11.8s.), Laffite (12.4s.), Piquet (14.8s.) et de Angelis (24.3s.). Suivent Andretti, Mansell, Jones et Giacomelli.
32e : Mansell prend la septième place à Andretti. Arnoux est onzième après avoir doublé Rebaque.
33e : Cheever reprend la piste avec une pédale d'embrayage neuve, mais plus de vingt tours de retard.
35e : Reutemann ne trouve pas d'ouverture sur Villeneuve qui parvient toujours à le semer à l'accélération grâce à la puissance de son turbo. Watson et Laffite les rattrapent peu à peu. Jones double Andretti.
37e : Les leaders sont dans le trafic. Stohr s'arrête au stand Arrows pour changer son boîtier d'allumage. Il repart quelques minutes plus tard.
39e : Reutemann se montre dans les rétroviseurs de Villeneuve dans la longue ligne droite mais il lui manque les chevaux nécessaires pour passer. A contrario la Ferrari du Québécois, pneus arrière surchauffés, glisse somme une savonnette dans les virages, mais son pilote en conserve un parfait contrôle. Arnoux dépasse Giacomelli.
40e : A mi-course Villeneuve est leader devant Reutemann (0.3s.), Watson (8.1s.), Laffite (9s.), Piquet (11.6s.) et de Angelis (20.7s.). Suivent Mansell, Jones, Andretti, Arnoux, Giacomelli et Rebaque. Pironi est dix-neuvième.
42e : Villeneuve peine à prendre un nouveau tour à la Ligier de Jabouille qui est presque aussi rapide que lui. Reutemann en profite pour se coller à l'arrière de la Ferrari.
44e : Laffite attaque Watson pour la troisième place. Au virage Monza, Piquet sort de la piste et atterrit dans le grillage. C'est la troisième fois consécutive que le Brésilien termine sa course dans le décor.
45e : Villeneuve est en tête devant Reutemann (0.4s.), Watson (6.5s.), Laffite (7s.), de Angelis (16.5s.) et Mansell (30.1s.).
46e : Rebaque regagne les stands avec un embrayage cassé mais va repartir.
47e : Laffite attaque Watson par l'extérieur au premier freinage, sans résultat.
48e : Reutemann est toujours juste derrière Villeneuve. Après un nouveau tour au ralenti, Rebaque jette l'éponge.
49e : Laffite dépasse Watson dans la ligne droite principale.
50e : Stohr abandonne après que son moteur a expiré. Jabouille s'arrête chez Talbot pour faire purger ses freins.
51e : Villeneuve précède Reutemann (0.4s.), Laffite (5.3s.), Watson (7s.), de Angelis (18.1s.) et Mansell (30.1s.). Viennent ensuite Jones, Andretti, Arnoux et Giacomelli.
53e : Laffite et Watson remontent sur le duo de tête. Reutemann désespère de se frayer un passage pour doubler Villeneuve.
55e : Laffite est revenu à trois secondes de Villeneuve. Sentant le danger, Reutemann suit la Ferrari comme son ombre, mais est à chaque fois distancé à l'accélération.
58e : En tête la situation est la suivante : Villeneuve premier devant Reutemann (0.3s.), Laffite (1.9s.) et Watson (5.1s.). De Angelis remonte lui aussi : il n'a plus que treize secondes de retard sur la tête de course.
59e : Laffite est maintenant derrière Reutemann. Les trois premiers sont regroupés en deux secondes.
61e : Reutemann tente de déborder Villeneuve par l'intérieur à Peggio, sans succès car le pilote canadien ferme la porte.
62e : Laffite prend l'aspiration derrière Reutemann et le déborde par l'extérieur dans la courbe Nuvolari. Il se place aussitôt dans le sillage de Villeneuve. Reutemann ne s'en laisse pas conter tandis que Watson est revenu sur ce peloton. Les quatre leaders se retrouvent derrière l'Ensign de Salazar. Celui-ci s'écarte devant Villeneuve et Laffite mais gêne Reutemann dans les deux dernières courbes. Watson profite de l'opportunité pour déboîter la Williams devant les stands. Le voici troisième.
63e : Villeneuve et Laffite sont désormais roues dans roues. Watson et Reutemann les suivent de près. De Angelis est revenu à sept secondes du leader. Jabouille abandonne car ses freins sont hors d'usage.
64e : Villeneuve mène devant Laffite (0.3s.), Watson (2.5s.), Reutemann (3.1s.), de Angelis (5.9s.), Mansell (31.3s.) et Jones (53s.). Suivent Andretti, Arnoux, Giacomelli, Rosberg et Serra.
65e : Dans la partie sinueuse Laffite cherche par tous les moyens un espace pour doubler Villeneuve, sans succès. Et dans la grande accélération, le Français est distancé par le moteur turbo italien.
67e : Watson et Reutemann sont revenus dans les roues de Laffite. De Angelis n'est plus qu'à quelques encablures.
68e : Villeneuve, Laffite, Watson, Reutemann et de Angelis sont désormais regroupés. Villeneuve est très lent en virage, toujours au bord du dérapage, mais il ne commet aucune erreur et utilise son turbo pour se protéger à l'accélération.
70e : Les cinq premiers se tiennent en moins de deux secondes. Laffite se déchaîne derrière Villeneuve, retarde ses freinages, cherche l'aspiration, guette le trou de souris, tout en surveillant Watson dans ses rétroviseurs. Sans succès.
71e : Watson se montre à l'affût derrière Laffite. Reutemann et de Angelis sont un peu plus en retrait.
72e : Villeneuve est premier devant Laffite (0.2s.), Watson (0.4s.), Reutemann (1.2s.) et de Angelis (1.5s.). Mansell est sixième à vingt-huit secondes. C'est la fin de course la plus tendue que nous ayons vue depuis longtemps.
74e : Laffite est toujours aussi agressif. Il s'échine à sortir de la dernière courbe collé à l'arrière de la Ferrari pour prendre l'aspiration, mais à chaque tour les chevaux du turbo Ferrari sèment le V12 Matra.
75e : De Angelis attaque Reutemann par l'extérieur devant les stands, sans résultat.
76e : Laffite tente de faire l'extérieur à Villeneuve dans la courbe Le Mans mais il lui manque quelques mètres pour se porter à sa hauteur.
78e : Le train multicolore poursuit sa route. Laffite s'épuise derrière Villeneuve, Watson observe, tandis que de Angelis se montre offensif derrière Reutemann.
79e : Les leaders reviennent sur Serra qui se range très sportivement sur le bas-côté pour les laisser passer.
80ème et dernier tour : Laffite tente jusque dans l'avant-dernier virage de déborder Villeneuve par l'extérieur mais échoue. Commandés par le Canadien, les cinq premiers franchissent la ligne d'arrivée en moins de deux secondes, ce qui n'était plus arrivé depuis le Grand Prix d'Italie 1971.
Gilles Villeneuve offre à la Ferrari turbo sa deuxième victoire consécutive après avoir résisté superbement à un peloton de furieux. Laffite finit deuxième et monte sur son troisième podium d'affilée. Watson est troisième et donne ses premiers points à la McLaren MP4. C'est aussi le premier podium de son équipe depuis plus de deux ans. Reutemann se contente de la quatrième place et précède les deux Lotus 87 de de Angelis et de Mansell. Jones va ruminer longtemps son erreur du 14ème tour et finit seulement septième, hors des points. Sont aussi à l'arrivée Andretti, Arnoux, Giacomelli, Serra, Rosberg, Tambay, Salazar, Pironi et Daly. Cheever n'est pas classé. Il était tant que le drapeau à damiers soit agité : à cause d'un problème d'alimentation Villeneuve tombe en panne d'essence dans son tour d'honneur!
Après la course: l'exploit du « petit prince de la Formule 1 »
La victoire de Villeneuve illustre parfaitement les tares et les qualités de la Ferrari 126 CK : un châssis obsolète qui génère une tenue de route médiocre et un turbo surpuissant qui « lâche » tous les concurrents à l'accélération. Villeneuve a fait montre d'une incroyable maîtrise dans les courbes, au volant d'une voiture toujours sur le point de se dérober. Un véritable « acrobate » dixit Laffite, le « Nuvolari des temps modernes » selon Enzo Ferrari.
Le génial Québécois commente lui-même son exploit : « J'étais le plus rapide en ligne droite. Je n'étais donc pas inquiet d'un dépassement au freinage. Par contre, dans les virages, j'avançais comme une tortue... et je n'ai jamais conduit une voiture aussi large. Mes pneus étaient morts. Le moindre dérapage aurait été fatal. [...] Ils étaient comme des loups enragés derrière moi, prêts à me dévorer tout rond. [...] De loin la victoire la plus satisfaisante de ma carrière. Je n'ai jamais travaillé aussi fort au volant d'une voiture de course. »
S'il est tombé dans les bras de son copain Villeneuve après l'arrivée, Jacques Laffite reste déçu : « Gilles était littéralement arrêté dans les virages. Mais dès qu'on en sortait il me laissait sur place ! » Pour sa part Guy Ligier digère mal le départ manqué de son pilote, parti en pole : « L'animal, il aurait dû se balader... » grommelle-t-il autour d'un verre de pastis.
Après Piquet à Monaco, c'est donc Jones qui a détruit ses chances de victoire en faisant une erreur. Tout ceci profite à Reutemann qui consolide sa première place avec 37 points contre 24 à Jones, 22 à Piquet, 21 pour Villeneuve et 17 pour Laffite. Au classement des constructeurs, Ferrari passe devant Brabham pour un point.
Tony