Des maisons de tôles accrochées au flanc de la montagne pointent leur toit comme le doigt d’une vieille dame squelettique qui s’accroche encore à la vie, et qui les attendrait pour leur raconter ce qu’elle a vécu.
Dans cette forêt, sur le versant sud du massif du Koniambo, pas de parole. Juste une quinzaine de baraquements qui leur jettent à la figure la dureté de la vie des personnes, environ trois cents, qui ont habité, travaillé et, pour certaines, qui sont nées et mortes ici.
Jeudi, le petit groupe de Vietnamiens a marché sur les traces de ses anciens. L’émotion était palpable. Ils ne savent rien ou presque de ce petit village au milieu de la Chaîne. Miguel Ate, géologue pour KNS, à qui appartiennent dorénavant les terres de ce petit village, a découvert dans le cadre de ses prospections quelques précieuses informations pour ces visiteurs en quête de leur histoire.
Il leur raconte qu’à l’époque, il y avait six ou sept carrières qui étaient exploitées en même temps, entre 1900 et la fin des années 30, et que les Tonkinois qui vivaient dans ce village s’épuisaient sur la principale, la carrière Manguen. « Entre 300 et 500 personnes travaillaient sur cette carrière et, en tout, on pense qu’il y avait un millier de personnes présentes lors de l’exploitation minière du Koniambo », assure le géologue.
Après deux heures de 4x4 sur les routes sinueuses ouvertes par KNS pour son exploitation minière, le chemin des vieux s’ouvre au groupe. 1,5 kilomètre de descente avant d’arriver au village. Les plus âgés ne sont pas découragés, ils veulent savoir.
L’ambiance est encore légère. Miguel Ate poursuit ses explications au détour d’un croisement. « Tous les matins, à 3 heures et demie, 4 heures, ils se tapaient toute la montée, les vieux. Il leur fallait une heure et demie, deux heures pour rejoindre une des carrières. L’autre, Bilboquet, est à trois heures de marche ! »
Quand d’un coup, surgi de nulle part, au milieu de cette forêt, un manguier. Trace incontestable de vie. Les premières maisons osent enfin exposer leur carcasse fatiguée. Une chape de plomb tombe. Derrière les sourires, l’étonnement laisse peu à peu place à la douleur. « Comment ont-ils fait pour rester ici ? » « Ça fait mal au cœur de voir dans quelles conditions ils vivaient », lâche, tristement, une des femmes qui sait que sa mère a vécu à Voh. « Maman m’avait raconté ça, poursuit une autre femme, mais pour imaginer... » « C’est un pèlerinage pour nous, indique Mélanie, en venant ici, on honore leur mémoire. »
Ils font le tour des maisons, entrent, sortent, à la recherche d’une trace, d’un écrit qui les rapprocherait encore un peu plus de tous ces anciens qui ont souffert sur ces mines, loin de leur pays natal. Ils essaient de comprendre.
Puis, peu à peu, le présent reprend le dessus. Les rires et les sourires reviennent. Heureux d’en savoir un peu plus sur son passé, le petit groupe entame l’ascension du retour le cœur plus léger. Ils ont vu de leurs yeux ce village qui, grâce à leur initiative, ne pourra plus tomber dans l’oubli. Mélanie, la plus jeune, sait. Et elle a bien l’intention de transmettre cette histoire, pour qu’elle perdure.
Marjorie Bernard
Un ouvrage et un film
Gilbert N’guyen est le chef de file de ce petit groupe de Vietnamiens, fils ou petits-fils des Chân Dâng qui, pour certains, ont connu le retour difficile au Vietnam dans les années 60 avec les rotations du Eastern Queen, qui a effectué à l’époque une dizaine d’allers-retours entre Nouméa et Haïphong. Et ceux présents jeudi ont fini par retrouver la douceur de vivre du Caillou, il y a une vingtaine d’années.
L’histoire de leurs anciens est peu connue et c’est pour cette raison qu’ils se sont lancés dans l’aventure et ont voulu découvrir ce village qui appartient aujourd’hui à KNS. « On a demandé à André Dang s’il pouvait nous permettre de venir ici, raconte Gilbert N’guyen, et il nous a donné le feu vert. On l’en remercie. »
Caméra au poing et appareils photo en action, le petit groupe veut aussi laisser une trace de son passage. « C’est une partie importante de notre histoire. Ce n’est pas pour rien que les gens nous surnommaient les Niaoulis. C’est que nous sommes nombreux à être nés comme ça, dans la brousse ! Et avec le développement, nous avons peur que ces traces de notre histoire disparaissent. »
Le groupe a demandé à la SLN d’ouvrir ses archives sur cette époque, ce qu’elle a, semble-t-il, accepté. Avec toutes les informations récoltées, il souhaite écrire un ouvrage et faire un film pour que la nouvelle génération connaisse l’histoire des Chân Dâng.