que lui avait imposée Bossuet ; mais, fidèle à l’esprit du siècle, il élimine hardiment de ses récits tout ce qui lui paraît contraire à la fois à la nature des choses et à la nature même de l’homme : « Nous sommes dans le siècle où l’on a détruit presque toutes les erreurs de physique. Il n’est plus permis de parler de l’empyrée, ni des cieux cristallins, ni de la sphère de feu dans le cercle de la lune. Pourquoi sera-t-il permis à Rollin de nous bercer de tous les contes d’Hérodote et de nous répéter la fabuleuse histoire de Cyrus et ses petits tours d’adresse et la grâce avec laquelle il versait à boire à son papa Astyage qui n’a jamais existé ?… Je me suis dit quelquefois, en lisant Tacite et Suétone : toutes ces extravagances atroces imputées à Tibère, à Caligula, à Néron sont-elles bien vraies ? Ces turpitudes abominables ne sont guère dans la nature[1] ». Et ailleurs : « L’abbé Bazin aimait passionnément la vérité ; tout ce qui n’est pas dans la nature lui paraissait absurde[2] ».
Qu’on veuille bien le remarquer : il ne s’agit pas seulement ici de réfuter par le simple bon sens, comme l’a fait
- ↑ Le pyrrhonisme de l’histoire, ch. II et XII.
- ↑ La défense de mon oncle : exorde. Et qu’on veuille bien remarquer que Voltaire repoussera, au nom des mêmes principes, les histoires monstrueuses, donc invraisemblables, inventées par le fanatisme contemporain ; il dira, à propos des Calas et des Sirven : « Il n’est pas dans la nature que les pères et les mères égorgent leurs enfants pour plaire à Dieu », et il suppliera leurs juges de « mieux consulter les lumières de la raison et la voix de la nature. » (La méprise d’Arras). En somme, Voltaire comprend ici que le criterium, pour la véracité des témoignages historiques, c’est la psychologie : « Faute de connaître, a-t-on dit récemment, l’universalité de la nature humaine, nos érudits ont parfois des crédulités qui nous rappellent les historiens antiques acceptant sans difficulté l’existence de choses impossibles. » (Lacombe : De l’histoire considérée comme science, Hachette, 1894, p. 27).
Et le même écrivain dit plus loin : « Dès le dix-huitième siècle, le vrai chemin vers les lois de l’histoire a été découvert et même on s’y est avancé. Quand Turgot, par exemple, formulait à peu près la loi des trois états successifs de l’esprit, que Comte développa et précisa plus tard sous cette forme : état religieux, état métaphysique, état scientifique, et que Turgot considérait cette loi comme propre à expliquer une vaste portion de l’histoire, que faisait-il, sinon déclarer implicitement la vraie méthode, le recours nécessaire à la psychologie ? » (Ibid. p. 33).