Don Juan (Lord Byron)
Don Juan | |
Haydée découvrant Don Juan, par Ford Madox Brown, 1878. | |
Auteur | George Gordon Byron |
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Pays | Grande-Bretagne |
Genre | Épopée |
Éditeur | John Murray |
Lieu de parution | Londres |
Date de parution | 1819-1824 |
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Don Juan est considéré par Lord Byron lui-même comme son œuvre maîtresse, ainsi que la plus personnelle. Interrompue par la mort de l'auteur, elle raconte en dix-sept chants, sur un ton facétieux et volontairement provocateur, les péripéties d'un jeune Espagnol voyageant à la fin du XVIIIe siècle de l'Espagne à l'Angleterre, en passant par la Grèce et la Russie. Le Don Juan de Byron, à l'opposé du mythe du séducteur, est un jeune candide, jouet des événements comme des femmes.
Genèse de l'œuvre
[modifier | modifier le code]Lord Byron commence Don Juan en , alors qu'il est à Venise :
« Encouragé par le bon succès de Beppo, j'ai terminé le premier chant (un chant long : environ 180 strophes de huit vers) d'un poème dans le même style et de la même mouture. Ça s'appelle Don Juan, et je l'ai voulu légèrement et tranquillement facétieux à propos de tout. Mais je serais surpris qu'il ne fût pas […] trop libre pour notre époque si pudibonde[1]. »
Il envoie le premier chant le à son éditeur John Murray, qui demande à censurer certains passages, craignant un scandale en raison des allusions au désastreux mariage avec Annabella Milbank, des attaques contre Robert Southey, le Poète Lauréat, et contre Lord Castlereagh. Lord Byron, pressé également par ses amis, accepte non sans protester la censure de la dédicace et une publication anonyme[N 1],[2].
À sa sortie, en , le poème provoque un tollé, ce qui n'empêche pas Lord Byron d'en poursuivre la rédaction. Il en est au Chant III lorsqu'il écrit à son ami Douglas Kinnaird :
« Quant à Don Juan — avoue — avoue — coquin ! — et reconnais franchement — qu'on a là le chef-d'œuvre de ce genre d'écrits — c'est peut-être licencieux — mais n'est-ce pas du bon anglais ? — C'est peut-être dissolu — mais n'est-ce pas la vie, n'est-ce pas la chose elle-même ? […] J'avais de si beaux projets pour le Don — mais le moindre cant est tellement plus puissant que le cunt — de nos jours, — que la postérité au désespoir se voit nécessairement privée du bénéfice de l'expérience d'un homme ayant eu mille occasions de peser ces deux monosyllabes[N 2],[3]. »
Ni sa maîtresse, Teresa Guiccioli, qui désapprouve les allusions à son épouse, ni une brouille avec son éditeur, ne peuvent l'arrêter. Il continue Don Juan lors de son voyage en Grèce, et jusqu'à sa mort à Missolonghi en 1824.
Résumé
[modifier | modifier le code]Don Juan nait à Séville de Don José et Dona Ines, intellectuelle férue de mathématiques. À seize ans, beau jeune homme, il trouble le cœur pur de Dona Julia qui en fait son amant. L'adultère découvert, elle est envoyée au couvent et Don Juan doit quitter l'Espagne pour l'Italie (Chant I). Pris dans une tempête, son navire fait naufrage. Seul survivant, les autres rescapés étant morts de faim ou ayant été dévorés, Juan échoue sur une île grecque.
Il est recueilli par une jeune fille, Haydée, qui en tombe amoureuse (Chants II et III). Le père, chef d'une bande de pirates, découvrant leur relation, envoie Juan à Constantinople où il est vendu comme esclave à la femme du Sultan, Goulbéyaz. Il est introduit dans le harem déguisé en femme et devient objet de convoitise pour le sultan, sa femme et toutes les autres... (Chants IV, V, VI). Il parvient à s'échapper et se retrouve au siège de la ville d'Izmaïl par l'armée russe. Il fait preuve de bravoure sur le champ de bataille et sauve une petite musulmane, Leïla. Il est envoyé pour annoncer la victoire à Catherine II, qui en fait son favori (Chants VII, VIII, IX). Mais Juan tombe malade. Les médecins lui préconisent un climat moins rude. L'Impératrice l'envoie en mission secrète en Angleterre. Traversant l'Europe avec Leïla, il est chaleureusement accueilli par la bonne société anglaise. Plusieurs femmes se disputent ses faveurs. Il cède à la duchesse Fitz-Fulke (Chants X à XVII). Lord Byron n'aura pas eu le temps d'envoyer son héros dans la France Révolutionnaire se faire guillotiner sous la Terreur. Le poème s'achève donc sur la description que Byron fait de lui-même et un petit déjeuner.
Structure
[modifier | modifier le code]Lord Byron s'inspire du poète italien Luigi Pulci, et « de son ottava rima, strophe de huit vers à rimes croisées et récurrentes, terminée par un distique [ab/ab/ab/cc], qui lui offre une plus grande faculté d'improvisation que la strophe le mec spensérienne[N 3] dont il s'est servi pour Childe Harold »[4]. L’ottava rima lui permet, en effet, de donner libre cours à son espièglerie, à son génie de la rime, de jongler avec les registres et tourner en dérision les conventions poétiques. Le passage au français permet difficilement d’en rendre compte, au désespoir des traducteurs, qui ont dû faire le choix des vers blancs de France.
I don't know that there may be much ability |
« Un poème aussi décousu ne permet pas |
Thématiques
[modifier | modifier le code]Don Juan et les femmes
[modifier | modifier le code]Où qu'il aille, Don Juan suscite le désir. Il est considéré par les femmes qu'il rencontre comme un objet de convoitise : Dona Julia ; Haydée, la seule à éprouver pour lui un véritable amour ; la femme du sultan ; les autres épouses et concubines du sultan qui se disputent pour savoir qui couchera avec lui/elle (il est déguisé en femme à ce moment-là) ; l’Impératrice Catherine II ; Lady Adeline Admundeville ; la duchesse de Fitz-Fulke… ; le sultan lui-même.
« Du conquérant, il fait une victime, du prédateur, une proie : son Juan sera plus séduit que séducteur », écrit Marc Porée à ce propos[6]. C’est un reflet de l’impression qu’avait Byron vis-à-vis des femmes : « J’ai été moi même plus ravi que quiconque depuis la guerre de Troie »[7].
Effectivement, loin de l’image de séducteur qu'on lui attribue, Byron a été souvent séduit par les femmes qu'il a rencontré, le regrettant, comme avec Caroline Lamb, ou s’en félicitant avec Teresa Guiccioli, dont il est le Cavalier Servant au moment où il écrit Don Juan : « Je suis devenu un véritable serventismo — et trouve que c’est l’état le plus heureux du monde. » [8]
Dans ses lettres et journaux, Byron professe ouvertement sa misogynie, que ce soit dans ses lettres à son amie Lady Melbourne où il lui rappelle le mépris qu'il a pour son sexe, hormis elle-même « Je n'ai pas une très haute opinion de votre sexe ; mais quand je vois une femme supérieure non seulement à tous les représentants de son sexe mais à la plupart des représentants du nôtre, j'ai pour elle de l'adoration en proportion du mépris que j'ai pour les autres. »[9], ou dans son journal où il encense le principe du gynécée : « Réfléchi à la condition des femmes dans la Grèce antique — assez commode. […] Devraient s'occuper du foyer […] mais tenues à l'écart du monde. »[10] Mais dans Don Juan, il met sous la plume de Julia, alors qu'elle vient d'être envoyée au couvent, un véritable pamphlet féministe, une dénonciation de la situation de dépendance où se trouve la femme au XIXe siècle :
Man's love is of man's life a thing apart, |
Pour l'homme, l'amour n'est qu'un détail ; pour la femme |
C'est que dans Don Juan, il se propose de dénoncer l'oppression sous toutes ses formes.
Sarcasmes
[modifier | modifier le code]-
Portrait de Lord Byron par George Harlow
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Luigi Pulci
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Robert Southey.
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William Wordsworth en sa jeune maturité.
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Le vicomte Castlereagh.
Cibles littéraires
[modifier | modifier le code]C’est sa dédicace qui a choqué son éditeur et ses amis, et qu’il a dû censurer. Elle ne sera réintégrée au poème que plus tard. Il s’attaque d’abord à Robert Southey, Poète Lauréat depuis 1813, auteur de poèmes épiques, très apprécié de son vivant. Il commence par des allusions grivoises : « Bob à sec, tu retombes, vidé de ta sève ! »[N 4],[12], puis attaque aussi Wordsworth :
For me, who, wandering with pedestrian Muses, |
« Mes muses vont à pied, et je ne puis lutter, |
Après avoir s'être fait le héraut du Romantisme dans sa jeunesse avec Childe Harold, au personnage mélancolique et sombre, proscrit et débauché, Don Juan, œuvre de maturité, est un pied de nez au Romantisme, que Byron a totalement abandonné pour le sarcasme. Il est désormais trop désespéré pour faire porter un masque désabusé à son personnage, pour flatter le goût de ses contemporains pour le sublime… Son Juan est donc un beau jeune homme, sympathique et naïf, qui suscite l’amour, et dont les tribulations sont autant d’occasions de rire de l’absurdité du monde.
Now my sere fancy "falls into the yellow |
« Mon caprice fané voit à présent "jaunir |
Et plus loin :
I don't pretend that I quite understand |
« Je ne prétends pas moi-même comprendre tout |
Dans sa traduction de 1830, Paulin Paris lui reproche d’ailleurs d'avoir abandonné le "'sublime'" de Childe Harold, avec une théorie très particulière : « Dans Juan, l'esprit de Byron devient plus vif, à mesure que l'imagination […] deviens moins sublime. […] C'est que ces beaux esprits, peu confians dans l'existence d'une âme immatérielle, perdirent de leur essence primitive et de leurs inspirations involontaires, en s'habituant de plus en plus à la vue des objets matériels. » [16]
Cibles politiques
[modifier | modifier le code]Byron définira le programme de Don Juan en , dans une lettre à son éditeur en réponse à ses détracteurs : « On connaîtra un jour Don Juan pour ce que j'ai voulu qu'il soit : une satire des abus de la société dans ses états actuels — et non une apologie du vice. »[17] Byron s'attaque à tout ce qui lui fait horreur dans cette Europe du début du XIXe siècle : Le congrès de Vienne, la politique étrangère de l'Angleterre, l'oppression Autrichienne en Italie et Ottomane en Grèce, la guerre…
Il revient souvent à son profond mépris pour la politique de Lord Castlereagh, symbole du retour de la réaction et de l'oppression après l'épisode Révolutionnaire et Napoléonien : « Je croyais qu'en cas de défaite (de Napoléon […], tout cela n'était point simple jeu des dieux, mais le prélude à des changements supérieurs, des événements grandioses. Mais les hommes ne dépassent jamais un certain point ; et nous voici ramenés à reculons au triste et inepte vieux système, l'équilibre en Europe, occupés à faire tenir des pailles sur le nez des rois au lieu de le leur arracher ! »[18] :
States to be curb'd and thoughts to be confined, |
La très longue description du siège d'Izmaïl est un virulent pamphlet contre la guerre, qu'il critique autant pour le nombre de ses morts que pour les vaines gloires, les héros que l'on acclame comme des bienfaiteurs de l'humanité alors que ce ne sont que des bouchers[N 5] :
The drying up a single tear has more |
Il y a plus de gloire à sécher un seul pleur |
Clins d'œil autobiographiques
[modifier | modifier le code]Comme dans Beppo, Byron mêle fiction et références autobiographiques que les lecteurs de l’époque étaient parfaitement en mesure de reconnaître. Il s’en donne à cœur joie pour multiplier les allusions acerbes à son ex-épouse, Annabella, dont Dona Inès est le portrait assez peu flatteur : comme elle « Sa science préférée était mathématique »[21] et « Elle parlait abstrait, pensait en théorèmes, / Croyant par le mystère ennoblir ses propos. »[22]. De façon très explicite, il fait référence à son propre désastre conjugal, Annabella ayant tenté d’excuser son comportement par la folie :
For Inez call'd some druggists and physicians, |
« Inès convia médecins et apothicaires |
Mais Byron ne se contente pas d'user de l'artifice du personnage allusif. En endossant le rôle du narrateur, il se donne la liberté de faire de longues digressions sur sa vie privée, parfois sous la forme de boutades[N 6],[24], parfois sous forme de pseudo-repentir ou de bilan sur sa vie passée :
Ambition was my idol, which was broken |
« L'ambition, mon idole, a été renversée |
Il termine d’ailleurs son poème, au Chant XVII, par un autoportrait qui semble parfaitement ressemblant au regard de sa biographie ainsi que du héros Byronien dont est lui-même le modèle :
Temperate I am, yet never had a temper; |
« Je suis tempéré, sans aucun tempérament ; |
Notes et références
[modifier | modifier le code]Notes
[modifier | modifier le code]- Citation : « J'ai reçu hier par l'intermédiaire de Hobhouse la décision de votre aréopage ou de vos apollophages […] et par retour de courrier j'ai donné mon accord (pour le moment) en ronchonnant et à contrecœur ; et je n'ai pas cessé de m'en repentir depuis — cela fait maintenant vingt-quatre heures »
- Jeu de mots sur cant et cunt. Cant : « discours obligé », « convenance » ou « quand dira-t-on » ; cunt : « con ».
- La « strophe spensérienne » est ainsi appelée parce qu'elle a été adoptée par Edmund Spenser (1552-1599), l'auteur de la Fairie Queene. Elle se compose de huit décasyllabes ou pentamètres iambiques (iambic pentametres) et d'un alexandrin (alexandrine), lui aussi iambique.
- Un « dry bob » est un coït sans éjaculation dans l’argot anglais de la Régence.
- Ce qui entre en contradiction avec l’admiration qu’il vouait à Napoléon
- « Mais il est un domaine où je brille à coup sûr, / C'est dans le règlement des conflits domestiques/Quand mes amis en ont, car moi, je n'en ai pas. »
Références
[modifier | modifier le code]- Lettre à Thomas Moore du 19 septembre 1818, in Lettres et journaux intimes, Albin Michel, 1987, p. 211
- Lettre à Scrope Davies du 26 janvier 1819, in Lettres et Journaux, Albin Michel 1987.
- Lettre à Douglas Kinnaird, le 26 octobre 1819, Lettres et journaux intimes, Albin Michel, 1987, p. 255
- Marc Porée et Laurent Bury, Notes sur la traduction de Don Juan, Paris, Gallimard, , p. 743-744.
- Chant XV, 20.
- Marc Porée, Préface à Don Juan, p. 14.
- Lettre à Hoppner du 29 octobre 1819, répondant à des accusations, non fondée d'enlèvement de jeune fille, in Lettres et Journaux, p. 258
- Lettre à Hobhouse du 3 mars 1820 in Lettres et Journaux, p. 377
- Lettre du 25 septembre 1812, in Lettres et journaux intimes, p. 79
- Journal du 6 janvier 1821, in Lettres & journaux, p. 277
- Don Juan, Chant I, 194.
- Don Juan, Éditions Gallimard, 2006, Collection Folio, « Dédicace », 3.
- Don Juan, « Dédicace » 8
- Don Juan, Chant IV, 3
- Don Juan, Chant IV, 5
- Œuvres complètes de Lord Byron, traduction par M. Paulin, tome premier, Dondey-Dupré Père & Fils Éditeurs, 1830
- Lettres et Journaux, p. 381
- Journal du 23 novembre 1813, in Lettres et Journaux.
- Don Juan, Dédicace, 14
- Chant VIII, 3&4
- Chant I, 12
- Chant I, 13.
- Chant I, 27
- Chant I, 23
- Chant I, 217
- Chant XVII, 11.
Bibliographie
[modifier | modifier le code]- Lord Byron (trad. Marc Porée et Laurent Bury), Don Juan, Paris, Gallimard, coll. « Folio », (ISBN 978-2-07-041289-1).
Liens externes
[modifier | modifier le code]- « Don Juan en anglais sur Google Books », sur books.google.fr (consulté le ).
- « Manuscrit autographe de Don Juan à la Morgan Library », sur themorgan.org (consulté le ).