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Prescriptivisme linguistique

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Le prescriptivisme linguistique, ou grammaire prescriptive, est l'établissement de règles définissant l'usage jugé correct de la langue[1],[2]. Ces règles peuvent porter sur des aspects linguistiques tels que l'orthographe, la prononciation, le vocabulaire, la syntaxe et la sémantique. Souvent liées au purisme linguistique, ces pratiques normatives sous-entendent que certains usages sont incorrects, incohérents, illogiques, peu compréhensibles, voire laids ; ce même dans les cas où les usages ainsi décriés sont plus courants que l'usage prescrit[3]. Le prescriptivisme linguistique peut également inclure des jugements sur l'utilisation d'une langue socialement et politiquement correcte[4].

Le prescriptivisme linguistique peut viser à promouvoir l'emploi d'une langue standard aux dépens de variations locales, à mettre en avant des formes considérées comme correctes ou appropriées, ou à décider de quelles formes doivent être considérées comme les plus appropriées pour la communication. S'il est conservateur, le prescriptivisme peut sembler résistant au changement de langue ; s'il est radical, il peut produire des néologismes[5].

Les approches prescriptives du langage sont souvent mises en contraste avec l'approche descriptive, employée en linguistique académique, qui observe et enregistre la façon dont le langage est réellement utilisé, sans aucun jugement[6]. La base de la recherche linguistique est en effet l'analyse de texte (corpus) et l'étude de terrain, qui sont toutes deux des activités descriptives.

Bien qu'elles soient apparemment opposées, les approches prescriptives et descriptives présentent un certain degré de chevauchement conceptuel[7], car une compréhension préalable de la manière dont le langage est réellement utilisé est nécessaire pour que la prescription soit efficace. Depuis le milieu du XXe siècle, certains dictionnaires et guides de style, qui sont des ouvrages prescriptifs par nature, tendent à intégrer de plus en plus de matériaux et d'approches descriptives. Une approche partiellement descriptive peut être particulièrement utile lorsqu'il s'agit d'aborder des sujets âprement discutés, par exemple lorsqu'une norme anciennement prescrite tend à disparaître, même au sein des cercles prescriptivistes.

Certains auteurs définissent le « prescriptivisme » comme un concept où une certaine variété linguistique est promue comme linguistiquement supérieure aux autres, reconnaissant ainsi l'idéologie linguistique standard comme un élément constitutif, voire central, du prescriptivisme[8],[9]. D'autres, cependant, utilisent ce terme en relation avec toute tentative de recommander ou d'imposer une manière particulière d'utiliser la langue (dans un contexte ou un registre spécifique), sans toutefois analyser l'influence de ces pratiques sur une vision plus globale de la langue parlée[10],[11]. Pour d'autres auteurs, l'attitude prescriptiviste impose des décisions arbitraires à la communauté linguistique[12], contrairement au descriptivisme, plus flexible et donc plus libéral[13],[14].

Le prescriptivisme linguistique fait partie d'un processus de normalisation linguistique[15]. L'objectif principal en est de spécifier les formes linguistiques socialement préférées d'une manière qui soit facilement enseignée et apprise. La prescription peut s'appliquer à la plupart des aspects du langage, y compris l'orthographe, la prononciation, le vocabulaire, la syntaxe, et la sémantique.

La prescription est utile pour faciliter la communication interrégionale, permettant aux locuteurs de dialectes divergents de comprendre un idiome standardisé. L'enseignement des langues étrangères est également considéré comme une forme de prescriptivisme, car il se base sur des normes bien précises définies par d'autres[16].

Le prescriptivisme linguistique peut également être utilisée pour soutenir une idéologie sociale ou politique. Ainsi, les classes supérieures peuvent-elles parler une langue artificiellement complexifiée (voir le « Grand usage » en France) et dévaloriser la « rustrerie » de la langue du peuple. De la même façon, le prescriptivisme peut s'opposer à certains sociolectes et ainsi marginaliser les groupes qui les emploient (cf. la glottophobie). L'emploi d'expressions dites « Politiquement correctes » et la critique de ceux ne les utilisant pas peut également s'apparenter à du prescriptivisme.

Le prescriptivisme peut également refléter des considérations éthiques, comme l'interdiction des jurons. Les mots faisant référence à la sexualité, à l'hygiène ou au blasphème peuvent être perçus comme étant obscènes ou offensants, et donc interdits.

Différents types d'autorités prescriptivistes

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L'Académie royale espagnole, Madrid

Le prescriptivisme présuppose l'existence d'une autorité dont les jugements peuvent (ou doivent) être suivis par les utilisateurs de la langue. Pour l'anglais, ces figures d'autorité ont tendance à être des livres. Par exemple, l'ouvrage Modern English Usage de HW Fowler a été largement considérée comme une autorité pour l'anglais britannique pendant une grande partie du XXe siècle. Le Duden joue un rôle similaire pour l'allemand.

Dans d'autres cas, c'est une institution qui joue ce rôle d'autorité. L'Académie française est par exemple un organisme pourtant national dont les recommandations pour la langue française sont souvent suivies dans tout le monde francophone, bien que non juridiquement contraignantes. En Allemagne et aux Pays-Bas, les récentes réformes de l'orthographe et de la ponctuation, telles que la réforme de l'orthographe allemande de 1996, ont été conçues par des équipes de linguistes mandatées par leurs gouvernements respectifs puis imposées légalement.

D'autres exemples d'organismes et d'initiatives nationales prescriptivistes :

D'autres types d'autorités existent dans des contextes spécifiques, le plus souvent sous la forme de guides de style (ou manuels de style). Les guides de style varient dans la forme et peuvent être des dictionnaires d'utilisation alphabétiques, des manuels complets divisés en plusieurs sous-sections selon le sujet considéré, ou des ouvrages très compacts insistant sur seulement quelques questions particulièrement importantes pour l'éditeur. Certains visent à n'être exhaustifs que pour un domaine spécifique, s'en remettant à des guides plus grand public sur des sujets qui ne sont pas particuliers à la discipline en question. Il existe différents types de guides de style, par objectif et par public.

Sans caractère officiel, Le Bon Usage de Maurice Grevisse (première édition en 1936) est considéré comme un des principaux manuels prescriptifs de grammaire et de style en français[22].

Historiquement, le prescriptivisme linguistique trouve son origine dans l'adoption d'une langue standard, qui se produit dès qu'une société se dote d'une stratification sociale et d'une hiérarchie socio-économique. Les usages linguistiques parlés et écrits des autorités (étatiques, militaires, ecclésiastiques) sont conservés comme langue standard. Les écarts par rapport à cette langue standard peuvent compromettre la réussite sociale de ceux qui ne s'y conforment pas. Parfois, des archaïsmes et des stylisations honorifiques peuvent être délibérément introduits ou conservés pour distinguer la forme de prestige de la langue de la langue familière contemporaine. De même, le style de langage utilisé dans les rituels diffère également du discours quotidien[23]. L'existence de langues cérémonielles spéciales connues uniquement de quelques chefs spirituels se trouvent dans le monde entier ; à l'instar par exemple du latin liturgique.

Caractères chinois traditionnels et simplifiés

Lorsqu'une culture développe un système d'écriture, des règles orthographiques pour la transcription cohérente des transactions culturellement importantes (lois, écritures, contrats, poésie, etc.) permettent à un grand nombre de discutants de comprendre facilement les conversations écrites et sur plusieurs générations.

Les premières tendances historiques en matière d'alphabétisation étaient étroitement liées à l'influence de diverses institutions religieuses[24]. Dans certaines traditions, le strict respect des orthographes et des prononciations prescrites était et reste d'une grande importance spirituelle. Les conventions de dénomination islamiques et les salutations sont des exemples notables de la prescription linguistique comme condition préalable à la droiture spirituelle. Un autre exemple couramment cité d'utilisation d'un langage normatif étroitement associé à la bienséance sociale est le système du discours honorifique japonais.

La plupart des langues largement parlées, sinon toutes, présentent un certain degré de codification sociale dans la manière dont elles se conforment aux règles prescriptives. Le prestige linguistique est un sujet de recherche central au sein de la sociolinguistique. Les notions de prestige linguistique s'appliquent à différents dialectes d'une même langue et également à des langues séparées et distinctes dans des régions multilingues. La disparité des niveaux de prestige conduit souvent à la diglossie : les locuteurs dans certains contextes sociaux choisissent consciemment une langue ou un dialecte de prestige plutôt qu'un dialecte moins prestigieux, même s'il s'agit de leur langue maternelle.

La bureaucratie gouvernementale se tourne vers le prescriptivisme comme un moyen d'imposer la continuité fonctionnelle. Un tel prescriptivisme date de l'Égypte ancienne, où les bureaucrates ont préservé les normes orthographiques du Moyen-Empire jusqu'à la période ptolémaïque grâce à une utilisation standardisée des hiéroglyphes égyptiens[25].

Critiques du prescriptivisme

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Le prescriptivisme fait souvent l'objet de critiques.

Une critique fréquente est que la prescription a tendance à favoriser la langue d'une région ou d'une classe sociale particulière par rapport aux autres, et milite donc contre la diversité linguistique. Typiquement, le dialecte « standard » est associé à la classe supérieure, comme c'est par exemple le cas de la Received Pronunciation en anglais[26]. Le prescriptivisme a donc des conséquences politiques ; en effet, il peut être – et a été – utilisé consciemment comme un outil politique d'exclusion des locuteurs sur des critères géographiques ou sociaux.

Le prescriptivisme tend aussi à dévaloriser explicitement les dialectes non standard. Alors que certains linguistes approuvent le côté pratique de la standardisation linguistique dans les États-nations modernes[9],[27], certains modèles de codification prescriptive ont été critiqués pour aller bien au-delà de la simple fixation de normes, en promouvant par exemple la variété linguistique sanctionnée comme étant le seul moyen légitime de la communication et la présentant comme la seule référence valable, tout en stigmatisant les usages non standards comme tout autant de « fautes »[9], créant ainsi une stigmatisation sociale et une discrimination envers leurs locuteurs[28],[29]. Les pratiques prescriptivistes pourraient également faire naître la conviction qu'un enseignement formel explicite est un préalable indispensable à l'acquisition d'une bonne maîtrise de sa langue maternelle, créant ainsi un sentiment massif d'insécurité linguistique[30].

Sources et références

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Références

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  1. David Crystal, A Dictionary of Linguistics and Phonetics, 6th, (ISBN 978-1-4051-5296-9, lire en ligne Accès limité), 384
  2. Peter Hugoe Matthews, The Concise Oxford Dictionary of Linguistics, (ISBN 978-0-19-920272-0), p. 316
  3. Olivia Walsh, Linguistic Purism: Language Attitudes in France and Quebec, John Benjamins Publishing Company, , 8–9 p. (ISBN 978-90-272-6673-6, lire en ligne)
  4. Jeffrey Reaser, Carolyn Temple Adger, Walt Wolfram et Donna Christian, Dialects at School: Educating Linguistically Diverse Students, Taylor & Francis, , 117 p. (ISBN 978-1-317-67898-4, lire en ligne)
  5. « What is Purism in Language? »
  6. (id) Moch. Syarif Hidayatullah, Cakrawala Linguistik Arab (Edisi Revisi), Gramedia Widiasarana Indonesia, , 5–6, 18 (ISBN 978-602-452-369-5, lire en ligne)
  7. Deborah Cameron, Verbal Hygiene, Routledge Linguistics Classics, (ISBN 978-0415696005)
  8. Annabelle Mooney et Betsy Evans, Language, Society and Power: An Introduction, Routledge, (ISBN 978-0-429-82339-8, lire en ligne)
  9. a b et c (sh) Mate Kapović, Komparativni postsocijalizam: slavenska iskustva, Zagrebačka slavistička škola, , 391–400 p., « Jezik i konzervativizam »
  10. Michael D. Kliffer, "Quality of language": The changing face of Quebec prescriptivism, McMaster University, 1 p. (lire en ligne)
  11. McIntyre, « Prescription for prescriptivists », Baltimore Sun, (consulté le )
  12. (de) Snježana Kordić, Studia Philologica Slavica: Festschrift für Gerhard Birkfellner zum 65. Geburtstag gewidmet von Freunden, Kollegen und Schülern: Teilband I, Berlin, Lit, coll. « Münstersche Texte zur Slavistik, vol. 4 », , 339–347 p. (ISBN 3-8258-9891-1, OCLC 315818880), « Sprache und Nationalismus in Kroatien »
  13. (pl) Beata Jezierska, Frazeologizmy w polskich przekładach współczesnej prozy francuskiej (na wybranych przykładach), Poznań, Wydział Filologii Polskiej i Klasycznej: Instytut Filologii Polskiej, , 97–99 p. (hdl 10593/14690)
  14. (sh) Snježana Kordić, Jezik i nacionalizam, Zagreb, Durieux, coll. « Rotulus Universitas », (1re éd. 1st pub. 2010), 57–68 p. (ISBN 978-953-188-311-5, OCLC 729837512, LCCN 2011520778, DOI 10.2139/ssrn.3467646, S2CID 220918333, lire en ligne [archive du ])
  15. Carol Percy et Ingrid Tieken-Boon van Ostade, Prescription and Tradition: Establishing Standards across Time and Space, Multilingual Matters, coll. « Multilingual Matters », (ISBN 978-1-78309-652-7, lire en ligne), p. 3
  16. (en) Jeanette Sakel, Study Skills for Linguistics, Routledge, coll. « Understanding Language », (ISBN 978-1-317-53009-1, lire en ligne), p. 34
  17. (pl) « Podstawowe informacje o Radzie », Polish Language Council (consulté le )
  18. Władysław Chłopicki, In and Out of English: For Better, for Worse?, Multilingual Matters, coll. « Translating Europe », , 110 p. (ISBN 978-1-85359-787-9, lire en ligne), « Polish Under Siege? »
  19. (pl) Dąbrowska et Hącia, « Ocena poprawności językowej prac egzaminacyjnych uczniów III klasy gimnazjum: wewnętrznojęzykowe przyczyny trudności w ocenie, wyniki zastosowania skali egzaminacyjnej, zalecenia dla systemu egzaminacyjnego », Edukacja, vol. 2, no 118,‎ , p. 96–97 (ISSN 0239-6858, lire en ligne)
  20. (pl) Karaś, « Regionalizm », Dialektologia polska (consulté le )
  21. « Tarihçe – Türk Dil Kurumu », www.tdk.gov.tr (consulté le )
  22. Alex Vanneste, Le français du XXIe siècle: introduction à la francophonie, Garant, Anvers, 2005, p. 81, note b [1]
  23. See, generally, Marianne Mithun, The Languages of Native North America (Cambridge University Press, 1999; (ISBN 0-521-23228-7)) for North American examples of ritual speech.
  24. David Diringer, The Alphabet: A Key to the History of Mankind (1947; South Asia, reprinted 1996); (ISBN 81-215-0748-0)
  25. Allen, James P., Middle Egyptian – An Introduction to the Language and Culture of Hieroglyphs, (Cambridge University Press, 1999) (ISBN 0-521-65312-6)
  26. Fowler's Modern English Usage, second edition, Ernest Gowers, ed., Oxford University Press: 1965, pp. 505–506
  27. John Lyons, Introduction to Theoretical Linguistics, Cambridge University Press, , 42–44 p. (ISBN 978-0-521-29775-2, lire en ligne)
  28. Asif Agha, Language and Social Relations, Cambridge University Press, , 146–147 p. (ISBN 9780521576857, lire en ligne)
  29. Book Review Digest, vol. 83, H.W. Wilson Company, , 1291 p. (lire en ligne)
  30. Loreta Vaicekauskienė, Multiple Perspectives in Linguistic Research on Baltic Languages, Cambridge Scholars Publishing, , 78–80 p., « ‘Good Language’ and Insecure Speakers: A Study into Metalinguistic Awareness of TV and Radio Journalists in the Context of Language Monitoring in Lithuania »