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Budget : Les retraités sont-ils trop épargnés par les mesures politiques en France ?

ok boomerLa proposition de Michel Barnier de geler l’indexation des retraites sur l’inflation a provoqué un tollé politique. Au point que le Premier ministre envisage de retirer sa mesure. Mais alors, les retraités sont-ils intouchables dans ce pays ?
Ca va Jacqueline et Marcel? Ca vous dérangerait tant que ça de participer à l'effort national ? (Illustration)
Ca va Jacqueline et Marcel? Ca vous dérangerait tant que ça de participer à l'effort national ? (Illustration) - Getty Image
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • En France, il y a trois choses sacrées auxquelles on ne touche pas : le fromage, Zinédine Zidane et les retraités.
  • Les seniors se sont en effet peu à peu construit une petite réputation de chouchous des politiques et de grands protégés des mesures de serrage budgétaire que connaît le pays depuis des années.
  • Dernier exemple en date, Michel Barnier a proposé de geler pour six mois l’indexation des retraites à l’inflation. Et ça n’a pas loupé : toute la classe politique s’en est indignée. Vraiment invincibles ces retraités ?

En proposant de décaler de six mois l’indexation des retraites sur l’inflation pour faire des économies dans le budget de l’Etat, Michel Barnier a provoqué l’indignation de toute la classe politique. Marine Le Pen a dénoncé une « mesure mesquine », le président LFI de la commission des Finances, Éric Coquerel, a estimé que les retraités « doivent être exemptés » et Yaël Braun-Pivet, du camp présidentiel, a demandé a minima des ajustements. Face à une telle levée de boucliers, le Premier ministre a dit réfléchir à d’autres mesures.

De quoi relancer en France une vieille musique, et une grande frustration chez une partie des actifs : les retraités, principaux votants, seraient sans cesse protégés par les politiques, épargnés par les mesures d’économie et privilégiés financièrement.

Une population plus difficile à prélever

Tout n’est pas inexact. La France est le seul pays où les retraités ont un niveau de vie similaire aux actifs, selon le dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites. Cocorico et situation quelque peu incongrue à la fois. Anne Lavigne, professeure de sciences économiques à l’université d’Orléans et autrice d’Economie des retraites (La Découverte, 2013) admet quelques totems chez les retraités. « Il est admis politiquement qu’un actif a le moyen de s’adapter, de changer de métier ou d’en trouver un deuxième si son pouvoir d’achat chute drastiquement. Pour un retraité, il est bien plus difficile de trouver des nouvelles sources de financement. » Deuxièmement, « l’idée qu’ils ont rempli leur part du contrat en cotisant pour la génération précédente et qu’on ne peut plus les toucher désormais ».

Mais ce raisonnement souffle de quelques critiques, précise l’experte : « Si on part du postulat : "J’ai cotisé donc j’y ai droit", on peut se poser la question du retour sur investissement. Combien ont-ils versé dans le système et combien en récoltent-ils ? » Soit en jargon d’économiste matheux : le rendement interne. Or, celui-ci est très différent pour les « babyboomers » que pour les générations suivantes - si vous êtes nés après mai 1968, ça sent mauvais pour vous, en gros, et de pire en pire. « Ce qu’on voit vite, c’est que la génération des babyboomers a cotisé à des taux beaucoup plus faibles et beaucoup moins longtemps - le départ à la retraite se faisant beaucoup plus tôt », poursuit Anne Lavigne.

Une génération dorée, mais pas immunisée

Jacques Le Cacheux, économiste et spécialiste des finances publiques, voit aussi un problème dans l’argumentaire : « Tout le monde remplit le contrat social, dont les actifs. Si on demande un effort budgétaire à tout le monde, pourquoi les retraités seraient exemptés ? » Et il faut le dire, ce fameux contrat social ne fut pas le même pour toutes les générations, poursuit-il : « En moyenne, les babyboomers ont moins souffert du chômage et ont eu bien plus facilement accès à la propriété. On peut quand même reconnaître qu’ils ont eu une vie globalement meilleure… Même si ce n’est bien sûr pas une raison pour les pénaliser pour ça. »

Michael Zemmour, économiste, rappelle que les retraités ne sont pas non plus immunisés par les mesures politiques : François Hollande notamment avait déjà décalé l’indexation des retraites à plusieurs reprises. Même Emmanuel Macron, vu comme le président des retraités, avait augmenté la CSG (contribution sociale généralisée) des retraités en 2018, la passant de 6,6 % à 8,3 %. Certes, toujours moins que les actifs ; 9,2 %.

« Les seniors mieux traités que la population générale »

Autre rappel utile de la part des trois économistes, les retraités ne forment pas un tout unis. La moitié des femmes, et 30 % des pensions au total, touchent moins de 1.000 euros par mois. 10 % des seniors en France se situent sous le seuil de pauvreté. Certes, moins que la population générale : 15 %.

Quant à l’indexation à l’inflation, « c’est une mesure logique, et le contrat implicite du système par répartition », soutient Michael Zemmour. Alors oui, les salaires des actifs n’ont, eux, pas encore rattrapé l’inflation. « Mais c’est ça l’anomalie, et pas l’augmentation des pensions », estime l’économiste. Allez courage, selon les projections, cela devrait être le cas d’ici deux à quatre ans. « C’est faux de dire que les retraités sont totalement immunisés par les politiques, conclut Jacques Le Cacheux. Mais en moyenne, ils sont mieux traités. » Anne Lavigne cite notamment l’incompréhensible abattement pour frais professionnels de 10 % auquel ont aussi droit les retraités (du moins ceux qui paient des impôts), alors que… ils n’ont pas de frais professionnels.

« Le manque de justice fiscale chez les retraités »

« Mais le vrai problème, poursuit la spécialiste, c’est le manque de justice fiscale dans le traitement politique. On ne peut pas traiter toutes les retraites pareilles. » Ainsi, une des mesures en 2019 - finalement annulé avec le Covid - était une revalorisation des petites retraites (inférieure à 2.000 euros brut par mois) de 1 %, et de seulement 0,3 % d’augmentation pour les autres. « C’est ce genre de politique différenciée qu’il faut cibler et que le gouvernement oublie là. »

Tout l’inverse en effet du gel de six mois de l’indexation, qui vise tous les retraités indépendamment de leur revenu. « Contradictoire avec la hausse des petites retraites » tant vantée dans la réforme de 2023, rajoute Michaël Zemmour. Pour Anne Lavigne : « Ça sent la mesure précipitée, de court terme, pour obtenir au plus vite quelques milliards d’euros d’économie pour rassurer les marchés, mais sans vraiment de sens ou de justice. » Taper fiscalement sur les retraités, pourquoi pas. Mais à ce moment-là, le faire bien.