Interview« Il faut avoir une vision qui est celle des boxeurs », défend Estelle Mossely

Boxe : « Il faut avoir une vision qui est celle des boxeurs, pas une vision politique », défend Estelle Mossely

InterviewLa médaillée d’or aux Jeux olympiques de Rio est candidate à la tête de la Fédération française face au président sortant, Dominique Nato
Estelle Mossely veut être président de la FF de boxe.
Estelle Mossely veut être président de la FF de boxe. - LAURENT BENHAMOU/SIPA / Sipa
Antoine Huot de Saint Albin

Propos recueillis par Antoine Huot de Saint Albin

L'essentiel

  • Après des Jeux olympiques ratés, Estelle Mossely a décidé de se lancer dans un tout nouveau projet : la candidature pour le poste de présidente de la Fédération française de boxe.
  • La championne olympique 2016 axe son programme sur trois thématiques : rapprochement vers les clubs, augmentation du nombre de licenciés et internationalisation.
  • Malgré les polémiques autour de la Fédération internationale (IBA), la boxeuse de 32 ans estime que la World Boxing (reconnue par le CIO) n’a pas encore la même capacité d’organisation de gros combats.

Un autre combat commence. Battue dès son premier combat aux Jeux olympiques de Paris, Estelle Mossely, qui ambitionnait une médaille après l’or glané à Rio en 2016, n’a pas traîné sa déception trop longtemps. Elle s’est lancée dans un nouvel objectif, sans les gants et le protège-dents : le poste de présidente de la Fédération française de boxe. Quelques jours après avoir officialisé sa candidature pour les élections, qui se dérouleront le 14 décembre et où elle affrontera le président sortant Dominique Nato, la Francilienne explique à 20 Minutes son projet pour la boxe française.

Comment vous est venue cette idée de vous présenter à l’élection à la tête de la fédération ?

Je réfléchis depuis très longtemps à comment je vais agir pour mon sport. En revenant en France [pour la préparation des JO], j’ai fait un constat : j'ai trouvé qu'il n'y avait pas d'évolution fulgurante par rapport à quand j’avais quitté la Fédération, il y a huit ans. Je me disais « ça ne va pas, pourquoi on ne l’a pas pensé comme ça, c’est dommage ». Et j’ai envie qu’on m’entende là-dessus.

La prise de décision est venue après les JO, une fois que je suis sortie de la compétition. Je suis partie, j’ai pris du temps pour panser les blessures de la défaite. Je me suis dit qu’il fallait que je rebondisse très vite. Cette défaite précoce, ça m’a permis de voir du monde, puisque beaucoup de personnes, du milieu sportif et de la boxe notamment, étaient sur les Jeux. Cela m’a permis d’avoir une première équipe très rapidement, prête à me suivre, et qui m’a donné l’espoir que se présenter à la présidence pouvait marcher.

Vous dites avoir vu ce qui n’allait pas…

Il y a trois aspects que je vais mettre en avant lors de cette campagne. D'abord, le manque de proximité des instances fédérales avec les clubs. La base de la boxe, c’est quand même dans les clubs, avec les entraîneurs. Et il n’y a pas d’évolution. Ce sont toujours des entraîneurs pas payés, qui n’arrivent pas à sortir une rémunération, mais qui se démènent pour organiser des réunions de boxe. Et à côté de ça, il y a toujours les mêmes taxes fédérales, toujours les mêmes prix, voire qui augmentent pour les licences. Tout ça revient au haut niveau, et moi j’en ai bénéficié, mais la boxe, ce n’est pas que le haut niveau.

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Le deuxième axe, c’est le manque de licenciés. C'est à l'identique sur dix ans, avec simplement 500 ou 1.000 licenciés de plus chaque année [52.000 licenciés en 2015-2016, 58.563 en 2022-2023, 60.000 en 2023-2024]. Il doit y avoir un vrai travail au sein des écoles. On ne met pas en avant les qualités de notre sport, le bienfait que ça peut avoir au niveau psychologique. Ça amène de la rigueur, de la discipline, du respect envers l’autre. Plus de licenciés, c’est aussi une féminisation de la boxe. On est aussi un sport historique des JO, mais il n’est pas aux Jeux paralympiques. Il y a un travail à faire à ce niveau-là, parce que la handiboxe existe et elle est demandée.

« Le troisième axe, c’est l’internationalisation. On a plus de 260 professionnels à l’heure actuelle, mais peut-être une dizaine qui en vit. On arrive aux JO à domicile et on ressort avec trois médailles. Moi, je pense que les relations internationales ont été mises de côté. Quand on connaît vraiment la boxe, on comprend très vite qu’il y a un travail aussi relationnel et politique à faire au niveau international pour être une vraie nation de boxe. Au niveau amateur, c’est pareil. On n’accueille pas de compétitions, pas de championnats d’Europe, pas de championnats du monde. »

L’internationalisation, c’est aussi pour faire pencher certaines décisions arbitrales dans le bon sens ? A Paris, certaines décisions contre les Français ont été contestées…

Pour moi, ça vient clairement de là. Peser à l’échelle mondiale, c’est un axe majeur pour moi. Je fais de la boxe de haut niveau depuis quinze ans, et je n’ai jamais vu un combat serré où le local perd. Tous ceux qui s’intéressent un minimum à la boxe ont connu les années olympiques où, finalement, on avait de très grands champions qui n’avaient pas la médaille qu’ils auraient dû avoir. Maintenir de bonnes relations et montrer qu’on est une nation, une fédération investie dans son sport, ça compte. Par exemple, pour un combat comme celui de Sofiane (Oumiha, médaillé d’argent), c’est clairement ce qui a fait défaut. Un combat très serré où il y a limite égalité sur le papier, ça se joue politiquement au final.

Mais le résultat mitigé à Paris, avec trois médailles dont aucune en or, ne peut pas uniquement venir de là…

Ce n’est pas la seule raison. Il y a des acteurs du haut niveau qui sont en place au sein de la fédération et eux-mêmes feront le bilan de ce qui a été et ce qui n’a pas été. Si, demain, je suis présidente, je me poserai aussi avec eux pour avoir leur point de vue, puisqu'ils étaient au cœur du projet. Tout le monde, que ce soit au niveau fédéral, mais aussi au niveau du gouvernement, a essayé de faire des efforts pour que la préparation se passe au mieux. Et la volonté de tout le monde, c’était de faire des médailles. Maintenant, il y a un truc qui ne s’est pas bien passé. Il va falloir comprendre pourquoi. J’ai une idée précise, mais je n’ai pas envie d’en parler comme ça, je préfère le faire en interne. J’ai vu certaines choses, certaines positives à mon sens, et certaines qui ne l’étaient pas.

Au niveau international, quelle est votre position par rapport à l’IBA (fédération internationale, dirigée par le sulfureux russe Umar Kremlev, exclue du mouvement olympique), dont vous avez été ambassadrice, et World Boxing (créée en 2023, soutenue par le CIO) ?

La situation internationale est très complexe. L’IBA, c’est 80 % des fédérations nationales qui y sont affiliées [dont la France], elle organise des championnats continentaux et mondiaux réguliers, avec la mise en place de récompenses financières qui n’existaient absolument pas auparavant pour permettre aux boxeurs de pouvoir subvenir à leurs besoins. Les fédérations nationales sont aussi beaucoup aidées par l’IBA. A côté, il y a World Boxing dont on ne sait pas trop ce qu’ils proposent.

On nous dit qu’un choix devra être fait dans les mois à venir pour pouvoir être aux JO et organiser les tournois qui nous permettront de qualifier les boxeurs aux Jeux. Et il est clair que la boxe aux Jeux ne doit pas disparaître. Mais on ne prépare pas les JO sans autres compétitions. Si je suis présidente, j’aurai des échanges avec World Boxing pour savoir quels sont les tenants et les aboutissants. Je pense que c’est essentiel d’avoir une vision qui est celle des boxeurs et de ne pas s’appuyer sur une vision politique.

Mais si vous militez pour la boxe paralympique et le maintien de la boxe aux JO, cela laisse penser que le choix de World Boxing semble le plus judicieux, non ?

Je ne connais pas encore les tenants et les aboutissants de cette fédération. Elle est récente, elle n’a pas les mêmes possibilités financières que l’IBA, et elle n’a pas établi un calendrier sur les trois prochaines années qui nous dit qu’il y aura régulièrement des tournois ou des compétitions qui seront proposées aux athlètes. Aujourd’hui, la plupart des tournois sont affiliés à la fédération IBA. Je pense vraiment qu’il faut se poser des questions dans l’ordre. C’est-à-dire, pour le moment, savoir concrètement comment World Boxing va s’organiser dans les prochains mois.

Si je suis présidente et que le choix intervient trois ou quatre jours après mon élection, je dirais qu’il faut avoir les deux fédérations. Parce que les Jeux, ça se prépare avec des compétitions, des compétitions bien organisées que l’IBA a su mener. Je trouve que le travail a été fait dans la mise en place des primes [pour tous les médaillés aux JO, même si l’IBA était exclue du mouvement olympique]. Demain, si on nous demande de choisir une fédération qui organise des compétitions mais qui ne paie pas les boxeurs, encore une fois, ce sont les boxeurs qui seront pénalisés.

Comment avez-vous vécu la prise de position de l’IBA et de son président Kremlev autour de l’Algérienne Imane Khelif ?

Moi, pendant les JO, j’étais concentrée sur ma performance personnelle, j’ai entendu les prises de position, mais j’étais vraiment au-dessus. Imane, je la connais, puisque je l’ai côtoyée lors de différents stages, et c’est une très belle personne. Mais ce n’est pas un problème qui a été amené par l’IBA à la base, il a été amené par les boxeuses elles-mêmes. Je ne sais absolument pas quel est le fond réel de toute cette problématique.

Mais c’est un point sur lequel il faut réellement se pencher, parce que c’est quelque chose qui existe, et pas que dans notre sport, notamment en athlé avec une grande championne [Caster Semenya]. Si ça existe, ça peut présenter des risques pour la santé, car on reste un sport de combat où les hommes ne boxent pas avec les femmes. Si c’est un problème qui existe, il doit être mis en lumière, en dehors de toute polémique et sans prendre à partie une personne.