Être ici est une splendeur. C’est vrai, se dit-on en traversant, au deuxième étage du musée d’Orsay, dans les salles consacrées aux Nabis, cet accrochage qui fait dialoguer les chefs-d’œuvre de Pierre Bonnard, Félix Vallotton ou Édouard Vuillard, avec les toiles de Nathanaëlle Herbelin, jeune peintre franco-israélienne de 35 ans. Être ici est une splendeur parce que, pour un bref instant, l’on s’extrait du chaos du monde. Parce qu’à travers les songes de l’artiste, l’on se met à rêver, à s’inventer des vies plus douces. Parce qu’enfin la peinture de Nathanaëlle Herbelin rassure et console, comme un câlin.
Née en Israël 1989, Nathanaëlle Herbelin s’est formée dans les ateliers de Philippe Cognée et de Tim Eitel aux Beaux-Arts de Paris, dont elle est sortie diplômée en 2016. Depuis, on a pu la voir notamment sur les cimaises de la galerie Jousse Entreprises, qui la représente.
La voici désormais au musée d’Orsay, qu’elle a tant arpenté enfant, puis étudiante, nourrissant parmi ses trésors son esprit comme sa peinture. « Quand Christophe Leribault et Nicolas Gausserand sont venus toquer à ma porte en me parlant d’une exposition à Orsay, après avoir vérifié qu’ils n’étaient pas complètement fous, je me suis dit qu’au fond ce n’était pas si improbable. C’était un peu comme si la police du style venait me demander des explications. », se souvient avec humour l’artiste dans son texte d’introduction à l’exposition.
La confrontation avec les maîtres Nabis aurait pu s’avérer périlleuse. Elle est en fait merveilleuse. Comme eux, Nathanaëlle Herbelin se concentre sur le quotidien ; sur ces petits événements qui rythment sa propre vie, et la nôtre aussi : « Quand je peins, mes histoires prennent souvent la forme d’un conte et tendent vers l’universel, l’atemporel ce qui rend difficile l’identification du lieu ou l’époque de la scène » explique-t-elle dans un entretien publié dans le livret de l’exposition. D’une sincérité désarmante, sa peinture raconte le couple, la sororité, l’intimité, l’amitié, la maternité d’abord rêvée puis advenue et se pare de tons bleutés aux reflets opalescents. Assez loin, tout de même, à de rares exceptions, des couleurs vibrantes de Pierre Bonnard ou des aplats cernés de noir de Vallotton.
Certains rapprochements paraissent évidents. Impossible par exemple, face à Emmanuelle et Efi, de ne pas penser à la Femme au chat de Bonnard. Comme ce dernier, Nathanaëlle Herbelin nous fait aussi pénétrer dans l’univers feutré de salles de bain. Non pas pour nous convier à un face à face un brin voyeur avec son modèle, mais bien pour montrer le réel dans ce qu’il a de plus trivial, comme lorsqu’elle peint sans superflu une jeune femme s’épilant le maillot à la pince à épiler. Le rêve, n’est jamais loin non plus, lorsque mue par son désir d’enfant, elle se représente, debout dans une baignoire et enceinte, alors qu’elle ne l’est pas. Un geste prémonitoire qui rappelle celui de Paula Modersohn-Becker, raconté par Marie Darrieussecq dans son livre Être ici est une splendeur, qui donne son titre au tableau comme à l’exposition.
Perméable aux préoccupations sociétales contemporaines, Nathanaëlle Herbelin revendique, face à ses prédécesseurs le female gaze. Dans sa peinture, les femmes s’épilent, rêvent, se déshabillent, allaitent… Les hommes, quant à eux, semblent douter et chercher leur place. Et là où Bonnard peignait sa femme Marthe telle une sirène en immersion dans un bain de couleur (Nu dans le bain, 1936 – absent de l’exposition), l’artiste préfère quant à elle dépeindre son compagnon recroquevillé dans une baignoire trop petite pour lui, le regard presque inquiet. « Le terme « nabi » signifie en hébreu « prophète » : celui ou celle qui révèle une vérité importante. », rappelle-t-elle enfin. Nul besoin de s’improviser voyant pour prédire qu’avec Nathanaëlle Herbelin, la peinture figurative a de beaux jours devant elle.
Nathanaëlle Herbelin. Être ici est une splendeur
Du 12 mars 2024 au 30 juin 2024
Musée d'Orsay • Esplanade Valéry Giscard d'Estaing • 75007 Paris
www.musee-orsay.fr
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