Suprême honneur, les marques à succès entrées dans le langage courant sont plus nombreuses qu’on le croit. La preuve du rôle central qu’elles jouent dans notre vie quotidienne.
Voir son nom entrer dans le dictionnaire, c’est participer à l’évolution de la société et s’inscrire dans l’Histoire. Cet honneur n’est pas réservé aux savants qui ont inventé nos unités de mesure (ampère, gauss…) ou aux grands voyageurs qui ont introduit chez nous les plantes exotiques des jardins (bougainvillée, bégonia, magnolia…).
Depuis le début de la société de consommation, de nombreuses marques commerciales se sont elles aussi fait une place dans le langage courant. A la liste ci-après, nous aurions pu par exemple ajouter (en nous limitant aux trois premières lettres de l’alphabet) Abribus, Audimat, Bikini, Brumisateur, Carte bleue, Caméscope, Camping-Gaz, Cocotte-minute…
Les linguistes appellent cela une antonomase de nom propre. Pour les entreprises, c’est parfois ennuyeux, car quand une de leurs marques devient la dénomination usuelle d’un produit, elles s’exposent à la déchéance de leurs droits. Pour cette raison, certaines firmes refusent (souvent sans succès) toute utilisation générique des noms qu’elles ont déposés : Pédalo, Meccano, Post-it, Velux ou Zodiac, parmi beaucoup d’autres, ne peuvent théorique¬ment désigner que les produits des marques concernées. Dans la pratique, ce n’est pas le cas mais leurs propriétaires se font une raison : c’est la rançon du succès.
Julie Noesser.
Alcootest (1953)
Une trouvaille venue d’Allemagne
Le brevet de cette invention a été déposé en 1953 sous le nom d’Alcotest par la firme allemande Dräger, un fabricant d’équipements médicaux. Par réaction chimique, une ampoule contenant un mélange d’acide sulfurique et de bichromate de potassium change de couleur en fonction du taux d’alcoolémie du conducteur. Exporté à partir de 1961, l’Alcootest (marque également déposée) fut adopté par la gendarmerie française en 1964 dans le cadre des plans de prévention routière.
Botox (1993)
Son usage esthétique date de 2002
La toxine botulique – c’est le terme médical exact – est la substance toxique la plus puissante connue : 1 gramme suffirait à tuer des millions d’hommes. On a découvert en 1955 qu’à dose infinitésimale, elle provoque des paralysies musculaires pendant quatre mois. Son application esthétique a été découverte par l’ophtalmologiste canadienne Jean Carruthers, qui l’utilisait pour traiter des spasmes oculaires.
La compagnie américaine Allergan, qui commercialisait le Botox (une marque déposée) depuis 1993, a commencé à le diffuser pour des applications esthétiques en 2002. Le produit, injecté localement à très faibles doses, provoque des paralysies ciblées qui atténuent temporairement les rides. Un produit concurrent est actuellement étudié conjointement par Nestlé et L’Oréal.
Bottin (1797)
Une institution apparue au XVIIIe siècle
Né en 1764 en Lorraine, Sébastien Bottin commence sa carrière dans les ordres mais sa véritable vocation est ailleurs : statisticien reconnu, il quitte l’état ecclésiastique et se spécialise dans l’édition d’annuaires professionnels. Le premier Bottin paraît en 1797 sous le titre «Almanach du commerce de la ville de Paris».
Il recense la raison sociale, les coordonnées et la spécialisation industrielle ou commerciale des entreprises de la capitale. Cet annuaire sera ensuite actualisé chaque année. Il passera à la postérité grâce au fameux «Bottin mondain», dont la première édition remonte à 1903, une marque qui désigne aujourd’hui l’élite de l’élite.
Caddie (1957)
Il doit toute sa carrière aux hypermarchés
La société des Ateliers réunis, créée en 1928 en Alsace par un certain Raymond Joseph, produisit longtemps des articles ménagers (paniers à salade, égouttoirs…). En 1957, elle se diversifia en fabriquant des chariots destinés aux aéroports, aux hôpitaux et, à partir des années 1960, aux hypermarchés.
En référence au garçonnet qui transporte les clubs des golfeurs sur un chariot, elle baptisa Caddie ce panier roulant qu’on appelait «shopping cart» aux Etats-Unis et «trolley» en Grande-Bretagne. Dans les années 1980, la société, devenue les Ateliers réunis Caddie, détint jusqu’à 80% du marché des chariots de magasins en Europe.
Chatterton (1860)
Il porte le nom de son inventeur
Chatterton est le nom du Britannique qui fit breveter le procédé du célèbre adhésif et en déposa la marque en 1860. Ce produit, en toile enduite d’un mélange de goudron norvégien, de latex et de résine, dut son succès à ses qualités d’isolation pour les fils électriques et les câbles sous-marins utilisés durant l’essor des télécommunications à la fin du XIXe siècle.
Cubitainer (1955)
Le bon vieux "cubi" est américain
Ce conteneur cubique a été breveté en 1959 (et déposé la même année comme marque) par une entreprise de Baltimore, Hedwin Corporation. En matière plastique souple logée dans un carton, à la fois léger, solide et facile à empiler, il a vite été adopté par nos viticulteurs, notamment pour le vin d’entrée de gamme.
Dictaphone (1881)
Il a tout de suite dominé son marché
Inventé en 1881, le Dictaphone, marque déposée en 1907 par le groupe américain Columbia, a distancé à ses débuts tous ses concurrents. Y compris l’«appareil de dictée» conçu par Thomas Edison à la même époque, l’Ediphone. La marque a changé de propriétaire à de nombreuses reprises, mais elle n’a cessé d’innover, en développant par exemple après la Seconde Guerre mondiale un système d’enregistrement à cassettes, avant d’adopter un procédé de reconnaissance vocale numérique. Elle appartient aujourd’hui au groupe américain Nuance Communications.
Digicode (1970)
Il a failli s’appeler Clefcode
L’idée a germé dans la tête d’un ingénieur en électronique à la fin des années 1960. Bob Carrière, c’est son nom, imagina un système automatique de fermeture et d’ouverture de porte qui permettait de se passer de son trousseau de clés, voire de sa concierge. Il raconta par la suite que ce concept de «portier électrique» lui était venu en regardant un dessin animé où l’on voyait un cadran de téléphone commander la porte d’un réfrigérateur. Par transposition, l’inventeur s’employa à bricoler un prototype à partir des chiffres et des lettres d’un clavier de machine à écrire. Après avoir amélioré son appareil, il le fit breveter en 1970 et passa alors à la production industrielle. Il déposa deux marques, le Clefcode et le Digi¬code, la première s’effaçant ensuite très vite devant le succès de la seconde.
Escalator (1898)
Le coup de génie du groupe Otis
L’Inclined Elevator de l’Américain Jesse Reno, un long tapis en rondins de bois, fut inauguré au Crystal Palace de Londres en 1898 : il se déplaçait à 2 km/h, fonctionnait à l’électricité et émerveillait les visiteurs au point que ceux-ci étaient prêts à débourser 1 penny pour s’offrir un tour.
Un «escalier magique» du même genre fut ensuite installé dans le magasin Harrods avant d’être présenté à l’Exposition universelle de 1900. Otis reprit l’invention et hésita sur la marque à déposer : «escalier voyageur» ou «ascenseur incliné» ? Le groupe américain opta finalement pour Escalator, combinaison de «elevator» et de «scala» (marche). Aujourd’hui, Otis est toujours leader mondial des ascenseurs.
Fermeture Eclair (1924)
Née à Bernay, dans l’Eure
On doit à Helias Howe d’avoir déposé aux Etats-Unis en 1851 le brevet d’un «système de fermeture continue et automatique pour vêtements» mais, curieusement, il ne donnera pas de suite à sa géniale invention. Du coup, c’est Whitcomb Judson, un autre Américain, qui mit au point, en 1893, les premières fermetures à glissière.
Ce procédé révolutionna l’habillement et arriva en Europe au début du XXe siècle. En France, on le vit d’abord apparaître sur les vêtements des aviateurs et des marins. Puis il se généralisa et fit la fortune d’un fabricant installé à Bernay, dans l’Eure : ayant lancé la marque Eclair en 1924, il devint rapidement leader sur le marché français.
Frisbee (1948)
Son fabricant a aussi lancé le Hula Hoop
Au départ, l’activité de la Frisbie Baking Company n’avait rien de ludique : fondée à Yale (Connecticut) par William Russell Frisbie, elle vendait depuis 1871 des pâtisseries, notamment des tartes, dont les moules portaient la signature de la maison – Frisbie’s Pie. Des étudiants de l’université voisine les récupéraient pour se les lancer sur les pelouses du campus.
En 1948, un inspecteur du bâtiment dénommé Walter Morrison s’en inspira pour breveter et fabriquer une rondelle en plastique volant beaucoup plus loin. Son brevet fut acquis en 1955 (pour 1 million de dollars) par le fabricant de jouets Wham-O, qui commercialisait déjà le Hula Hoop. Coup de chance : la même année, la pâtisserie Frisbie fit faillite. Wham-O racheta la marque et transforma son nom en Frisbee. Il allait en vendre des dizaines de millions.
Jacuzzi (1968)
Le best-seller d’émigrés italiens
Le groupe familial Jacuzzi Brothers Inc. était jusqu’aux années 1960 un fabricant d’hélices d’avion et de pompes hydrauliques. Sujets à l’arthrite, les Jacuzzi, des Italiens émigrés en Californie, inventèrent à l’époque une pompe à hydrothérapie, qu’ils vendirent dans certains hôpitaux.
L’intuition d’injecter directement dans la baignoire un mélange d’air pulsé et d’eau chaude pour y créer des remous vint à Roy Jacuzzi, le petit-fils du fondateur. Le «bain qui masse tout seul» fit très vite fureur en Californie, puis devint un accessoire relaxant apprécié des riches particuliers du monde entier. Depuis, la vogue de la thalasso et du spa a bénéficié à cet appareil, qui permet de pratiquer ces activités au quotidien et à domicile.
Jet-Ski (1973)
Inventé aux Etats-Unis, fabriqué au Japon
Dans les années 1960, un avocat américain passionné de moto, de vitesse et de glisse eut l’idée de bricoler lui-même une machine permettant de faire du ski nautique sans être tiré par un bateau. Son prototype, d’abord proposé au constructeur de motoneiges Bombardier, fut finalement exploité par le groupe nippon Kawasaki : c’est lui qui déposa la marque Jet-Ski, en 1973.
Il en conserva le monopole durant plusieurs années, jusqu’à ce que l’inventeur de l’engin et détenteur du brevet, Clayton Jacobson, cède les droits d’utilisation à deux autres groupes industriels, le japonais Yama¬ha et le canadien Bombardier. Ceux-ci fabriquent aujourd’hui deux modèles concurrents, le Waverunner et le Sea-Doo, que les amateurs de sports aquatiques continuent à appeler jet-ski.
Mobylette (1949)
Elle entra dans le dictionnaire dès 1955
Fondateurs en 1923 du constructeur de deux-roues Motobécane, Charles Benoît et Abel Bardin demandèrent après la Seconde Guerre mondiale à leur directeur technique, Eric Jaulmes, de mettre au point une moto très bon marché. La Mobylette, contraction de «mobile» et de «bicyclette», équipée d’un moteur de 49 cm3, fut ainsi lancée en 1949.
Elle remporta un tel succès que le nom de la marque fit son entrée dans le dictionnaire dès 1955, au moment même où les ventes totales dépassèrent 1 million d’exemplaires. La Mobylette, qui eut beaucoup de concurrents, symbolisa longtemps la soif d’indépendance et de liberté de la jeunesse. Motobécane a fait faillite en 1983 (Yamaha a racheté la marque, alors rebaptisée MBK, en 1986), mais sa «mob» lui a survécu.
Texto (2001)
Une marque rejetée par les tribunaux
Bien que déposée en 2001 par SFR, la marque Texto n’est plus protégée depuis une récente décision des tribunaux : les magistrats ont considéré que le mot «texto» était d’un usage si courant qu’il ne pouvait être considéré comme la propriété exclusive d’un seul opérateur de téléphone.
On peut donc continuer à appeler textos les SMS («short message services» ou «services de messages succincts»), inventés en 1980 par un ingénieur de Telecom Finland, Matti Makkonen. C’est lui qui comprit le premier que le téléphone mobile pouvait devenir un support multiservice (effectuer des réservations, réaliser des paiements à distance). Ce marché, porté par l’engouement des jeunes, est devenu une manne pour tous les opérateurs, qui développent autour des textos des applications commerciales très lucratives (votes, pub, etc.).
Velux (1941)
Le nom d’un fabricant de fenêtres danois
La société Velux (contraction de «ventilation» et de «lux», qui veut dire lumière en latin) a beau se plaindre de l’usage que ses concurrents font de son nom, rien n’y fait : il est entré dans le langage courant. Ce fabricant danois, fondé en 1941, reste néanmoins leader du marché auquel il a donné naissance, celui des fameuses fenêtres qui propagent la lumière naturelle dans les combles et les soupentes. La marque a maintenu son avance grâce à son savoir-faire technologique et profite sur le plan commercial de sa notoriété, qui en a fait un des symboles de la maison individuelle.
Zodiac (1909)
Du dirigeable au bateau pneumatique
A l’origine, la société Mallet, Mélandri et de Pitray, fondée à Paris en 1896, était spécialisée dans l’aéronautique : elle fabriquait des aérostats, des dirigeables, des avions. Après avoir adopté pour enseigne les signes zodiacaux traversés par un dirigeable, elle déposa en 1909 la marque Zodiac et en fit sa raison sociale. A partir des années 1920, elle construisit des vedettes pour la Marine nationale française. Puis des porte-bombes et des bateaux pneumatiques pour l’aéro¬navale. En 1940 apparut le ¬Type A, ancêtre du Zodiac moderne. Ses successeurs feront le bonheur des plaisanciers, qui continent aujourd’hui à appeler Zodiac tous les bateaux pneumatiques.
Et aussi...
Stabilo :
Le Stabilo Boss fut inventé en 1971 par le fabricant allemand de crayons Schwanhäusser. Il a connu un tel succès que la firme s’est
rebaptisée Schwan-Stabilo.
Bic :
A l’origine fabricant de porte-plumes, le baron Bich a créé en 1953 le stylo à bille en s’inspirant du procédé d’un inventeur hongrois. Le groupe Bic en a vendu depuis plus de 110 milliards.
Post-it :
C’est en 1968 qu’un chercheur du groupe américain 3M, Silver Spencer, mit au point la colle qui n’attache pas du Post-it. Le produit ne fut cependant lancé, après hésitations, qu’en 1977.
Nescafé :
Dans les années 1930, le Brésil cherchait à écouler sa surproduction de café. Nestlé lui trouva un nouveau débouché en créant en 1938 le Nescafé, «premier café sans cafetière».
Scotch :
Inventé en 1930 par 3M, le fameux ruban adhésif était initialement destiné aux carrossiers : il servait
à délimiter les zones de couleur sur les voitures.