La laïcité revisitée par Nicolas Sarkozy hérisse le Net

Par Chloé Leprince

Publié le , mis à jour le

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Sarkozy et Benoît XVI au Vatican le 20 décembre (Osservatore Romano/Reuters)

Virage inquiétant, double discours... Sur le Net, les récentes prises de position de Nicolas Sarkozy sur la laïcité soulèvent de vives réactions. Au Vatican, où il a été fait chanoine en décembre, à Ryad ou Paris, où le chef de l’Etat a reçu cette semaine les responsables religieux, le Président a soufflé sur les braises de la querelle scolaire.

C’est à la rentrée des vacances de Noël que Profencampagne a voulu aborder la question avec ses collègues enseignants. Déçu du manque de débat, il dit avoir « du mal à vivre avec cette passivité » :

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« Ah, ce discours de Latran… A table, à la cantine, j’en parle… Nous sommes une douzaine, peut-être quinze même, je ne sais plus. ’Le quoi ? ’ me dit, les yeux écarquillés, une collègue de lettres. ’Le discours du Président, à Latran, lors de son intronisation en Chanoine’.


Sur l’ensemble présent ce jour-là, trois d’entre nous en ont entendu parler et un seul l’a lu entièrement. Je cache mal ma surprise ; je cache très bien ma déception… Pourtant, il me semblait que ce texte, joliment écrit d’ailleurs -d’où sa dangerosité accrue- devait intéresser, intriguer, révolter par certains passages. Non, même pas… Alors j’ai imprimé, surligné et déposé le document dans la salle des profs. »

Parlant d’attaque « sournoise », lepoirierbouchot s’interroge, lui : « La laïcité, c’est encore de gauche ? “ :

‘Que Saint Sarko se laisse introniser chanoine d’honneur de Saint Jean de Latran, qu’il en fasse des tonnes, qu’il réaffirme que c’est ’par le baptême de Clovis que la France est devenue fille aînée de l’Eglise. Les faits sont là’, que les racines de la France sont essentiellement chrétiennes’... J’en passe et des pires. Cela me scandalise, mais sans surprise : il est fidèle à son programme de vieille droite revancharde.’

Gilles Devers, avocat et blogueur, note pour sa part :

‘Sur la laïcité, Sarkozy croit pouvoir s’en tirer avec deux discours, selon l’auditoire. Un à Ryad, où il salue l’héritage ’civilisateur’ des religions, l’autre à l’Elysée, où il se présente comme le grand défenseur de la laïcité à la française. Parce qu’à Ryad ce n’était pas triste.’

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‘Pas d’accord ! , tonne l’avocat, qui alimente son argumentaire de morceaux choisis dans un style lourdingue qui rappelle le discours de Dakar’ du chef de l’Etat :

‘Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme.(...) Dieu qui n’asservit pas l’homme mais qui le libère. Dieu qui est le rempart contre l’orgueil démesuré et la folie des hommes. (...) Dieu qui, par-delà toutes les différences, ne cesse de délivrer à tous les hommes un message d’humilité et d’amour, un message de paix et de fraternité, un message de tolérance et de respect.’

Et l’avocat de noter :

‘Une fois à Paris, le discours devient plus calme. (...) Comme si Ryad était une petite provocation, pour voir jusqu’où il est possible d’aller.’

‘La laïcité selon le chanoine Sarkozy’

Le blogueur Christophe Ginisty, ‘chef d’entreprise’, partisan du MoDem, dénonce pour sa part la ‘laïcité selon le Chanoine Sarkozy’. Mettant en ligne, comme beaucoup d’autres, des extraits du discours de Rome, il déplore :

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‘Je ne comprends cette façon de revisiter l’Histoire que nous propose le Président. Je suis attaché plus que tout à la laïcité et je n’achète pas cette vision réactionnaire de ce principe républicain. Depuis que Sarkozy a été élu, je trouve que c’est l’un des discours les plus importants qu’il ait prononcés, discours d’autant plus essentiel qu’il s’attaque à l’un des symboles de la République tout en réécrivant l’Histoire. Je ne comprends pas l’utilité d’opposer laïcité à mémoire, tradition et culture. C’est au mieux hors sujet, c’est au pire, une grave erreur.’

Pour un lecteur du Lac des signes, ‘cet homme a un siècle de retard’. Selon lui, Nicolas Sarkozy ‘ouvre un débat qui s’est apaisé avec le temps’ :

‘Les premiers à défendre la laïcité aujourd’hui sont les évêques (ils l’avaient rappelé lors de la campagne présidentielle) car ils ont acquis une liberté de parole qu’ils n’avaient pas avant. On a quand même dépassé le temps où prêtres et anticléricaux en arrivaient aux mains. Pour Sarkozy, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat semble être un point de débat majeur de la société française actuelle. Franchement, on n’en est vraiment plus là.’

Même son de cloche cette semaine chez Soupe-au-lait sur le blog ‘Ca commence à gonfler ! :

Notre bon et aimé Président, du temps qu’il était ministre de l’Intérieur, songeait déjà à ’toucher’ à cette infamie qu’est la loi de 1905 qui sépare nos deux amoureux, l’Eglise et l’Etat... Aujourd’hui, plus prudent, il y va à tâtons... Mais l’intention est la même : recentrer le doute du peuple sur la promesse divine. Alors quoi, en dix mois, on a régressé, ou évolué selon le camp où l’on se trouve, vers une Nation qui réactive ses racines, indéniables, chrétiennes ? On dirait...’

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‘En visite chez le Pape, Sarkozy dit la messe’

Didier Hacquart, élu PS en région Paca, emprunte, lui, à Charlie Hebdo un bon mot :

‘Même au Saint-Siège, le Président veut tout faire en personne. En visite chez le Pape, il dit la messe. Sarkozy lui a tapoté sur l’épaule, tic que les observateurs du monde entier n’ont toujours pas réussi à interpréter.’

Un peu moins énervé, un autre note au passage que les religions ‘ont toutes une demande différente’ :

‘Les catholiques verraient une réforme de la loi scolaire, les protestants souhaiteraient créer des associations cultuelles, et les autres confessions souhaiteraient une reconnaissance de leurs fêtes religieuses. Si le Président souhaite réformer, il ne doit oublier aucune religion. Je pense qu’il est préférable de maintenir cette séparation.’

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Bernard Gensane, retraité,

fait quant à lui le lien avec le débat sur le Traité constitutionnel européen. ‘L’Europe des Lumières s’obscurcit dangeureusement’ :

‘L’héritage religieux est mentionné comme ’source de la démocratie, de l’Etat de droit et des libertés fondamentales’ ; par contre, comme dans le TCE, l’Union Européenne reconnaît les Eglises, mais pas la laïcité (le mot et la chose sont absents des textes). Le retour en force de l’ingérence des Eglises est ainsi encouragé. (...) Le Vatican triomphe avec l’aide du chanoine qui préside la République.’

L’Europe des Lumières, c’est aussi ce que convoque la philosophe et blogueuse Catherine Kintzler, qui se dit ‘atterrée par les déclarations du président de la République lors de sa visite au Vatican’ et par ses génuflexions surabondantes devant les ‘racines essentiellement chrétiennes’ de la France.

Pour elle, Nicolas Sarkozy ‘a cru bon d’excuser’ ceux qui tirent ‘à boulets rouges sur la laïcité’. Comme de nombreux blogueurs, elle met en ligne le discours de Saint Jean de Latran... mais aussi les travaux de l’Observatoire chrétien de la laïcité, dont elle publie ‘avec soulagement’ ces lignes :

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‘L’allusion au livre ’La République, les religions et l’Espérance’, que Nicolas Sarkozy a remis au Pape, nous laisse craindre en réalité une remise en cause juridique inquiétante de cette loi, ce dont certaines propositions du rapport Machelon sont sans doute une esquisse. L’Observatoire chrétien de la laïcité, avec tous les laïques français, continuera de défendre la laïcité telle qu’elle est définie dans les deux premiers articles de la Loi de 1905 comme dimension essentielle de la démocratie.’

Chez Argoul, enfin, on veut croire qu’‘une société sûre d’elle-même sait ’jouer’, elle sait prendre ses distances face aux valeurs, en évitant le pire. Cet ’esprit de sérieux’ (Sartre) des militants de tous bords’ :

‘Les Français aiment les guerres de religions pour un peu tout. (...) A chacun de savoir raison garder et de privilégier toujours les procédures aux anathèmes : les règles et le droit sont des contraintes nécessaires de la vie en commun. Elles permettent de modérer et de socialiser. La liberté de conscience est intérieure, la liberté d’exprimer et de manifester doit demeurer soumise à la loi.’

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