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Portail:Littérature/Invitation à la lecture/Sélection/août 2012

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Christophe Bataille – Un hiver douloureux

Chacun attendait l'instant où la nuit viendrait s'engouffrer dans le labyrinthe et souffler la bougie. C’était un jeu de hasard.

Mais ce soir du 2 février 1871, un cri s'éleva, en français. On se leva précipitamment; le canon fut chargé. Pendant quelques minutes, on attendit. En vain. Un cliquetis de métal frôlait les falaises. Une encre pâle était tombée et la bougie s'était éteinte. On regagna l'abri de fortune : l'attente reprit.

L'armée française de l'Est était isolée et coupée de Lyon. La veille, elle avait commencé de se replier vers la Suisse. Les routes étaient couvertes d'un long coton blanc. Le froid du Jura flottait parmi les hommes bleu et garance. La retraite était ralentie par l'hiver. Il fallait protéger les Français au tournant de la Cluse. La plaine étroite s'ouvrait entre deux parois d'ombre. Le fort de Joux s'élevait sur le flanc est. C'était une bâtisse médiévale aux lourds barreaux. La neige estompait ses arêtes de pierre. Le fort disparut bientôt sous la tempête.

Christophe BatailleAbsinthe (édition Arléa, 1994) (page 12)

s:août 2012 Invitation 1

Blaise Pascal – Notre condition naturelle

Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêchent l’esprit ; trop et trop peu de nourritures troublent ses actions ; trop et trop peu d’instruction l’abêtissent. Les choses extrêmes sont pour nous ; comme si elles n’étaient pas ; et nous ne sommes point à leur égard. Elles nous échappent, ou nous à elles.

Voilà notre état véritable. C’est ce qui resserre nos connaissances en de certaines bornes que nous ne passons pas ; incapables de savoir tout, et d’ignorer tout absolument. Nous sommes sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants entre l’ignorance et la connaissance ; et si nous pensons aller plus avant, notre objet branle, et échappe nos prises ; il se dérobe, et fuit d’une fuite éternelle : rien ne le peut arrêter. C’est notre condition naturelle, et toutefois la plus contraire à notre inclination. Nous brûlons du désir d’approfondir tout, et d’édifier une tour, qui s’élève jusqu’à l’infini. Mais tout notre édifice craque, et la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes.

Blaise Pascal (16/06/1623-19/08/1662) – Pensées (XXII.Connaissance générale de l’homme).

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s:août 2012 Invitation 2

Maurice Maeterlinck - Et s’il revenait un jour


Et s’il revenait un jour
Que faut-il lui dire ?
— Dites-lui qu’on l’attendit
Jusqu’à s’en mourir…

Et s’il m’interroge encore
Sans me reconnaître ?
— Parlez-lui comme une sœur,
Il souffre peut-être…

Et s’il demande où vous êtes
Que faut-il répondre ?
— Donnez-lui mon anneau d’or
Sans rien lui répondre…

Et s’il veut savoir pourquoi
La salle est déserte ?
— Montrez-lui la lampe éteinte
Et la porte ouverte…

Et s’il m’interroge alors
Sur la dernière heure ?
— Dites-lui que j’ai souri
De peur qu’il ne pleure…

Maurice Maeterlinck (29/08/1862-05/05/1949) - Quinze Chansons (1900)

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s:août 2012 Invitation 3

Alain Robbe-Grillet - Chevelure

Malgré l'apparente immobilité de la tête et des épaules, des vibrations saccadés agitent la masse noire de ses cheveux. De temps en temps elle redresse le buste et semble prendre du recul pour mieux juger de son ouvrage. D'un geste lent, elle rejette en arrière une mèche, plus courte, qui s'est détachée de cette coiffure trop mouvante, et la gêne. La main s'attarde à remettre en ordre les ondulations, où les doigts effilés se plient et se déplient, l'un après l'autre, avec rapidité quoique sans brusquerie, le mouvement se communiquant de l'un à l'autre d'une manière continue, comme s'ils étaient entraînés par le même mécanisme.

Penchée de nouveau, elle a maintenant repris sa tâche interrompue. La chevelure lustrée luit de reflets roux, dans le creux des boucles. De légers tremblements, vite amortis, la parcourent d'une épaule vers l'autre, sans qu'il soit possible de voir remuer, de la moindre pulsation, le reste du corps.

Alain Robbe-Grillet (18/08/1922-18/02/2008) - La Jalousie (éditions de Minuit, 1957)

s:août 2012 Invitation 4

Jules Romains – Tomber malade

Knock : Je considère que tous les habitants du canton sont de fait nos clients désignés.
Mousquet : Tous.
Knock : Je dis tous.
Mousquet : Chacun peut devenir notre client
Knock : Client régulier, client fidèle.
Mousquet : Il faut qu'il tombe malade !
Knock : « Tomber malade », vieille notion qui ne tient plus devant les données de la science actuelle. La santé n'est qu'un mot, qu'il n'y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire. Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide. Naturellement, si vous allez leur dire qu'ils se portent bien, ils ne demandent qu'à vous croire. Mais vous les trompez. Votre seule excuse, c'est que vous ayez déjà trop de malades à soigner pour en prendre de nouveaux.
Mousquet : C 'est une très belle théorie.
Knock : Théorie profondément moderne, monsieur Mousquet, réfléchissez-y
Mousquet : Vous êtes un penseur, vous, docteur Knock, et les matérialistes auront beau soutenir le contraire, la pensée mène le monde.

Jules Romains (26/08/1885-14/08/1972) - Knock ou le Triomphe de la médecine, 1923 (acte II, sc. 3)

s:août 2012 Invitation 5

Christophe Bataille – Un hiver douloureux

Chacun attendait l'instant où la nuit viendrait s'engouffrer dans le labyrinthe et souffler la bougie. C’était un jeu de hasard.

Mais ce soir du 2 février 1871, un cri s'éleva, en français. On se leva précipitamment; le canon fut chargé. Pendant quelques minutes, on attendit. En vain. Un cliquetis de métal frôlait les falaises. Une encre pâle était tombée et la bougie s'était éteinte. On regagna l'abri de fortune : l'attente reprit.

L'armée française de l'Est était isolée et coupée de Lyon. La veille, elle avait commencé de se replier vers la Suisse. Les routes étaient couvertes d'un long coton blanc. Le froid du Jura flottait parmi les hommes bleu et garance. La retraite était ralentie par l'hiver. Il fallait protéger les Français au tournant de la Cluse. La plaine étroite s'ouvrait entre deux parois d'ombre. Le fort de Joux s'élevait sur le flanc est. C'était une bâtisse médiévale aux lourds barreaux. La neige estompait ses arêtes de pierre. Le fort disparut bientôt sous la tempête.

Christophe BatailleAbsinthe (édition Arléa, 1994) (page 12)