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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/135

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« Nouvelle Atlantide », et grâce aux méthodes scientifiques qui auront transformé le monde, on pourra s’élever dans les airs, naviguer au fond des eaux, parcourir en quelques heures des espaces immenses ; on fabriquera à volonté des pierres précieuses et des eaux minérales qui guériront les maladies et prolongeront la vie humaine, et Bacon donne d’avance à l’une de ces eaux un nom bien significatif : aqua paradisi.

On le voit, à l’inverse du moyen-âge théologique qui avait méprisé la terre et tenu ses regards obstinément fixés vers le ciel, c’est sur la terre désormais qu’il faut chercher et, par ses recherches même, faites avec méthode, réaliser de plus en plus le bonheur paradisiaque, car si l’on compare la profonde barbarie de l’Amérique avec la civilisation de l’Europe, on verra, dit Bacon, une si prodigieuse différence entre ces deux mondes, « qu’on peut dire que par ses inventions, l’homme est vraiment un dieu pour l’homme ». Honneur donc au savant moderne ! c’est lui le vrai faiseur de miracles et lui aussi le bienfaiteur de l’humanité : d’une part, il interprète, c’est-à-dire il dompte la nature et, d’autre part, les secrets qu’il lui arrache il en fait autant de remèdes à nos maux. Aussi voyez-le à l’œuvre : ce qui le soutient dans ses laborieuses recherches, c’est l’amour des hommes (philanthropia) et son visage ne respire que la pitié : vultum præ se ferens quasi miserantis. On ne saurait caractériser d’avance, avec plus de précision et d’élévation à la fois, l’idéal scientifique et humanitaire de nos philosophes : les « temps nouveaux », qu’appelait de ses vœux ce grand prêtre de la nature, ils ne viendront que cent ans plus tard, mais ils seront exactement tels qu’il les avait prophétisés et ils s’appelleront le siècle de l’Encyclopédie.

À coup sûr, Bacon ne fut ni un profond philosophe, ni même un vrai savant, lui que Liebig a pu nommer le « naturaliste des amateurs » ; il n’en a pas moins sonné, comme il le disait lui-même, « le réveil de l’esprit humain » en discréditant la stérile méthode a priori des disciples d’Aris-