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Page:Ducros - Les Encyclopédistes.djvu/21

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que la Réforme avait fait du pouvoir de l’Église. Quant à sa doctrine, et sans entrer dans le détail des dogmes, c’était également la saper par la base que de condamner l’ascétisme et le célibat des prêtres : « Le mariage, dit Luther, est une chose honorable et divine », et on sait que lui-même, il se maria. Ce mariage de Luther est jugé en ces termes par le plus grand docteur du catholicisme au dix-septième siècle : « Luther, dit Bossuet, avait alors quarante-cinq ans ; et cet homme qui, à la faveur de la discipline religieuse, avait passé toute sa jeunesse sans reproche dans la continence, en un âge si avancé et pendant qu’on le donnait à tout l’univers comme le restaurateur de l’Évangile, ne rougit point de quitter un état de vie si parfait et de reculer en arrière. » Luther avait-il tant reculé et, en se mariant, était-il si profondément déchu ? Laissons-le simplement parler lui-même : « Ah ! combien mon cœur soupirait après les miens, lorsque j’étais malade à la mort dans mon séjour à Smalkalde ? Je croyais que je ne reverrais plus ma femme et mes petits enfants ; que cette séparation me faisait de mal ! il n’est personne assez dégagé de la chair pour ne pas sentir ce penchant de la nature : c’est une grande chose que le lien et la société qui unissent l’homme et la femme[1]. » Elle est encore de Luther, cette parole pleine de naïve et chaste tendresse : « Comme mon hôtesse d’Eisenach avait raison de dire ce mot que j’ai entendu quand j’allais aux écoles : il n’y a rien de si doux sur cette terre que d’être aimé d’une femme. » Ces simples phrases nous montrent, plus que ne pourrait le faire des considérations philosophiques, combien la morale du protestantisme était plus humaine et plus sociale à la fois que la morale qu’elle prétendait remplacer. Pourtant, si nous nous rappelons les trois idées maîtresses du dix-huitième siècle, nous conclurons que Luther, en un sens, nous rapproche, et en un sens, nous éloigne de Voltaire. D’une part, il revint à la nature, puisqu’il revient au ma-

  1. Mémoires de Luther, Michelet, II, 81.