une des âmes les plus hautes du christianisme et le plus discuté, c’est-à-dire le plus justement redouté des philosophes, Pascal ne faisait-il pas l’aumône aux pauvres par peur de l’enfer ; « Il estimait, nous dit-on, l’omission de cette vertu une cause de damnation. » Mais Pascal était un saint et les philosophes opposaient à la morale de Pascal « qui fait des saints, la morale politique qui fait des citoyens[1] ». Tandis, en effet, que le dévot n’a pas à s’occuper « d’un monde que la religion ne montre à ses disciples que comme un lien de passage », et que, à en croire l’ascète, Dieu n’aurait mis « l’homme et la femme sur la terre que pour qu’ils traînassent leur vie dans des cachots séparés les uns des autres à jamais[2] », les philosophes estiment que ce mépris du monde et cet ascétisme ne sont conformes ni au « but de la nature » ni aux exigences de la société. Non, s’écrie d’Holbach, « la nature n’a point été une marâtre pour ses enfants », et quant à « l’activité, les passions, l’ambition même, tout cela, c’est la vie de la société ». Il ne s’agit donc pas, comme l’enseigne l’Église, « de faire main basse sur toutes nos passions, de renoncer à tout plaisir, de devenir l’ennemi de nous-même, et, en un mot, de nous dénaturer » ; mais simplement de diriger nos passions et de gouverner notre nature dans le sens de la vertu, c’est-à-dire dans l’intérêt de la société : car la vertu est éminemment sociale, puisque le devoir de « l’homme vivant en société », c’est de chercher, comme il y est contenu en effet, son intérêt personnel dans l’intérêt général : être vertueux, c’est faire des heureux.
Travailler au bonheur d’autrui, c’est assurément donner à ses actions un but suffisamment moral et élevé : mais est-ce là une morale vraiment naturelle et comment la fera-t-on pratiquer par des hommes que la nature a créés si profondément égoïstes ? en leur démontrant que leur égoïsme bien entendu se confond et se satisfait dans le bien social — ce qui est très vrai d’une manière générale,