il ne saurait être question, pour nous, d’adhérer sans réserve ni surtout de nous en tenir désormais à ce que savait et pensait le dix-huitième siècle ; car s’il est une chose que l’Encyclopédie enseigne dans tous ses articles, c’est qu’aucune science, morale ou autre, n’a jamais dit son dernier mot, et Voltaire nous a donc surtout servi à dépasser Voltaire et à le corriger indéfiniment. Ce qui ressort de l’œuvre entière de Bossuet, c’est que tout a été dit une fois pour toutes et qu’ainsi, suivant une expression de Renan, « le passé est la loi infranchissable de l’Église ». Ce qui caractérise, au contraire, la science moderne, propagée par l’Encyclopédie, et ce qui la sauvera éternellement de la « banqueroute », c’est qu’elle a, pour ainsi dire, sur l’avenir une lettre de crédit qui ne sera jamais périmée, car la science est toujours solvable pour ceux qui savent travailler et pour ceux qui osent penser.
Au reste, le dix-huitième siècle s’est parfois rendu compte lui-même qu’étant surtout occupé à combattre et à abattre, il devait plus que tout autre se contenter de solutions provisoires et de vérités insuffisamment démontrées. Mercier, que je me plais à citer, parce qu’il est un bon témoin de l’opinion générale, a écrit quelque part : « Notre siècle, malgré ses avantages, doit être considéré moins comme le siècle des vérités que comme un siècle de transition aux plus importantes vérités. » C’est à la fois un siècle de rupture avec le siècle précédent et de préparation aux siècles à venir.
Pour rappeler, en effet, en terminant, les trois idées principales auxquelles j’ai ramené tout l’esprit de l’Encyclopédie, nous nous refusons aujourd’hui à ne voir dans la nature que ces honteuses concupiscences de la chair qu’anathématisait Bossuet ; nous trouvons simplement en elle de bons et de mauvais instincts que notre raison nous apprend, non à sacrifier indistinctement, mais à subordonner les uns aux autres ; car justement l’un des meilleurs, parmi ces instincts naturels, est, selon nous, cette « concu-