soixante pieds de haut, ayant cent quarante pieds de diamètre à leur base et soixante à leur sommet. On se proposait de couler quatre-vingt-dix caisses semblables, bord à bord, sur toute l’étendue de la ligne où devait s’élever la digue, puis de les remplir de pierres apportées par des bateaux, et jetées à mains d’hommes à travers leurs interstices. Les pointes seules de ces cônes devaient s’élever au-dessus du niveau de la haute mer, et former ainsi à l’entrée de la rade une longue ligne de pyramides, séparées par des intervalles trop étroits pour que les vaisseaux pussent y passer.
On devait aussi lier les cimes de ces cônes entre elles par de longues chaînes de fer, projet digne de Xercès, mais conçu avec une sagacité rare. L’ingénieur qui l’avait imaginé, mit en œuvre des expédiens merveilleux. Il faudrait un volume tout entier pour décrire la manière de construire les cônes, le procédé par lequel on enlevait cette masse de deux millions de livres pesant, pour la conduire sans embarras et sans secousse à plus d’une lieue en mer, où on l’immergeait après avoir coupé sous l’eau les cordes qui la soutenaient à la surface. Le couteau roulant qui fut employé en cette occasion, servit plus tard à un autre emploi. Ce fut le modèle de la guillotine. Vingt fois, dans son cabinet, Louis xvi fut surpris faisant manœuvrer, à l’aide de deux coulisses de bois de palissandre, ce fatal couteau dont il admirait le mécanisme. Un ancien ingénieur qui fut admis près du roi à cette époque, pour lui rendre compte des travaux de Cherbourg, m’a rapporté que le pauvre prince se blessa grièvement en laissant glisser par mégarde sur son doigt ce terrible instrument, sous lequel devait un jour tomber sa tête.
Un premier cône d’essai fut achevé au Havre en 1782, avec un grand succès ; on le démonta et on le transporta à Cherbourg où il ne fut coulé qu’en 1784, à soixante toises de l’Île Pelée. Ce premier cône devait former l’extrémité occidentale de la digue. Une seconde caisse fut habilement échouée près de la première pendant l’été suivant ; mais vers la fin du mois d’août de la même année, une tempête battit les deux cônes, et enleva la partie supérieure de ces deux pyramides.
On avait déjà calculé que la digue, construite de cette manière, devait, sans les accidens imprévus, coûter vingt années de travaux consécutifs et quatre-vingts millions.