Ce cri de la passion est bien autrement fort que les déclamations que l’auteur met souvent dans la bouche de son héroïne, lorsqu’elle ne parle que par centons de Virgile. Mais la réponse d’Euriale n’est pas moins remarquable par l’absence de toute idée et de toute locution appartenant aux auteurs de l’antiquité classique. On trouve même dans cette seconde lettre l’expression d’une pensée délicate, qui appartient au développement des sociétés modernes, et dont nous ne voyons pas d’exemple dans les auteurs du siècle de Pie ii. Dans cette réponse, il a peint admirablement la position d’un homme honnête, qui aime tendrement, mais qui se trouve dans le plus grand embarras où puisse tomber un amant, celui d’être réduit à parler raison à sa maîtresse.
« Je t’ai caché les apprêts du départ jusqu’à ce moment, ma chère Lucrèce, dit Euriale, afin que tu ne t’affliges pas mal à propos. Je te connais ; je sais à quel point tu te tourmentes au sujet des choses les plus simples. — Sigismond ne quitte pas Sienne avec l’intention de n’y plus revenir, et à notre retour de Rome, il se propose de ne plus se remettre en marche que pour rentrer dans notre pays. Que si César était obligé de faire ce voyage, sois assurée que, Dieu aidant, tu me verras revenir à Sienne. Ainsi donc, ma chère amie, respire un peu, ne te trouble pas outre mesure, et fais en sorte au contraire de vivre en paix. — Quant à l’enlèvement que tu me proposes de faire, bien que l’idée m’en soit douce et qu’elle sourie à mon amour, cependant je pense qu’en cette occasion, je dois plutôt consulter les intérêts de ton honneur que ceux de ma passion. La sincérité de mon attachement pour toi me fait un devoir de ne te donner que des conseils avantageux pour toi-même. Souviens-toi donc que tu es d’une très noble race, alliée à une famille qui n’est pas moins illustre que la tienne. Pense que non-seulement tu passes pour la plus belle, mais encore pour la plus honnête personne de Sienne. Cette réputation, tu l’as en Italie, mais tu l’as encore en Allemagne et chez les peuples du Nord. Fais-donc attention que si je t’enlève, outre que je me déshonore aux yeux de tout le monde, je couvre encore de honte tous les tiens, et que je mets le désespoir dans le cœur de ta mère. Et enfin que ne pourrait-on pas dire de toi ? Dans l’état de mystère où sont les choses, tout le monde te loue encore ; mais, après un rapt, on t’accablerait de blâme. — Je consens à mettre de côté pour un instant ce qui regarde l’honneur ; crois-tu, cependant, qu’après le bruit de ton enlèvement, il nous serait possible de jouir tranquillement du bonheur de nous aimer ? Fais-y réflexion : je suis attaché au service de l’empereur ; c’est à lui que je dois mon élévation, mes richesses. Je ne puis m’éloigner de lui sans qu’à l’instant même toutes ses faveurs