Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1833 - tome 3.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
DU POLYTHÉISME ROMAIN.

foule. C’était à ne plus s’y reconnaître. Tout voulait entrer dans l’Olympe, jusqu’au petit chien d’Érigone. Cette divertissante peinture, égayée d’ailleurs avec le secours de Lucien, rappelle ce mot si profondément comique de Sévère, dans notre vieux Corneille :

« Nous en avons beaucoup, pour être de vrais dieux. »

Les emprunts que les philosophes grecs firent aux sages de l’orient et du midi, leurs voyages, leurs initiations, l’exportation et l’amalgame des doctrines, tout cela est lumineusement énoncé. Le portrait de Xénophon nous a semblé nouveau. Les deux Denys sont vivans et bien mis en rapport avec Platon. Le génie exclusivement spéculatif d’Aristote est clair aux yeux du lecteur ; c’est l’homme qui place le bonheur dans la spéculation et dans la pensée, pour qui la vie est la pensée, pour qui Dieu est la pensée.

L’exposition du neo-platonisme est incomplète, mais Benjamin Constant a vivement senti et fait toucher au lecteur la tendance universelle qui précipite les esprits vers l’unité, quand la vieille religion croule. L’homme fait des efforts infinis pour s’attacher à cette religion ; il se cramponne à cette ruine, il l’ébranle et veut la restaurer. Alors on cherche l’unité, non pas dans les idées nouvelles, mais dans les vieilles ; on bouleverse et on dénature l’antiquité pour la maintenir ; on fait des hérésies dans le vieux ; les imaginations s’échauffent, et pour sauver la tradition, la rendent méconnaissable. Ainsi firent les neo-platoniciens du paganisme. Ainsi, peut-être de nos jours, l’orthodoxie catholique n’a pas de plus cruels contradicteurs que quelques jeunes courages qui s’offrent à la défendre.

Nous en avons dit assez sur l’ouvrage de Benjamin Constant, pour le faire connaître, avec ses qualités, ses imperfections, avec ce cachet d’originalité puissante, et aussi avec ces signes d’affaiblissement et de mort, qui sont venus, avant la fin, séparer l’ouvrage de l’auteur. Eh bien ! ce monument inachevé vous attire par un charme puissant et amer. Il répand sur la mémoire et sur le nom de celui qui n’a pu le terminer, dirai-je plus d’éclat ? je n’en sais rien, mais un intérêt plus affectueux et plus tendre ; il le fait aimer davantage, parce qu’il le fait connaître plus avant. Le sujet se perd dans l’homme même, ou plutôt l’homme, ce brillant tribun, ce grand écrivain,