Dans les scènes de la vie domestique, il a su élever jusqu’à la plus haute poésie les détails qui semblaient exclus du domaine de l’invention.
Les sibylles et les prophètes de la chapelle Sixtine se placent d’emblée à côté du Moïse, par la majesté surnaturelle des figures ; quand une fois on a vu ces étranges visages, on ne peut les oublier. Il reste au fond de la mémoire une impression d’étonnement et de frayeur qui se mêle à tous les rêves, et qui frappe de mesquinerie les plus hardies créations qu’on retrouve au réveil. L’énergie et la pensée inscrites sur chacune de ces physionomies prodigieuses sont tellement au-dessus des spectacles ordinaires, qu’on n’a plus que de l’indifférence pour la beauté purement humaine.
Mais je dois dire en même temps que ces prophètes, si admirables de tout point, semblent mal à l’aise sur le mur où les a cloués la main de Michel-Ange. Les draperies vives et tranchées, le geste précis, la silhouette découpée avec une singulière crudité, l’ampleur dégagée du mouvement, le relief entier des figures appartiennent réellement à la sculpture. Il n’y a pas un de ces prophètes qui ne fasse regretter l’absence du marbre. On a peine à croire qu’ils soient nés sous le pinceau. Et quand le spectateur est convaincu, il ne renonce pas à son premier souhait, il voudrait toucher de la main ce qu’il a touché des yeux.
C’est dans le Jugement dernier, bien mieux encore que dans la voûte de la chapelle Sixtine, qu’on peut surprendre la vocation spéciale de Michel-Ange. Je ne veux pas discuter le témoignage naïvement ignorant de voyageurs tels que M. Simond. Pour avoir étudié pendant longues années les questions économiques et agronomiques, on n’est pas de plein droit connaisseur en peinture. Puisque la qualité des engrais, l’avantage de l’insolation plus ou moins directe ne se devine pas, je ne vois pas pourquoi les problèmes d’un ordre plus élevé se résoudraient à la course. Que M. Simond et quelques milliers de touristes déclarent hardiment qu’ils ne conçoivent rien à l’admiration des artistes pour le Jugement dernier, je n’élèverai pas la voix pour les moraliser. Je me contenterai de leur dire que chacun de nos sens, chacune de nos facultés a besoin d’une éducation individuelle, et qu’ils sont placés entre un dilemme sans réplique : ou bien il leur manque une faculté,